The History and Life of 900 years old Abbey Notre-Dame du Reclus
PART 1
Jessica : Didier Poupinel, bonjour !
Didier : Bonjour Jessica.
Jessica : Alors, vous habitez… vous êtes propriétaire d’un magnifique domaine… sur lequel on va s’étendre[1] un petit peu par la suite. D’abord, comment et pourquoi est-ce que vous êtes devenu propriétaire du lieu que vous habitez aujourd’hui ?
Didier : Alors, le lieu que j’habite aujourd’hui, c’est un… une ancienne abbaye, qui donc… donc des bâtiments très anciens, sur lequel il ne reste qu’une petite partie des bâtiments d’origine. Et c’est une ancienne abbaye[2], donc cistercienne, occupée par des hommes. Et… pourquoi devenir propriétaire d’un tel bâtiment ? Bah c’est… c’est un souhait. Parce que d’abord, ce sont de jolis bâtiments. Et ensuite, bah c’est aussi un peu un sacerdoce, parce que c’est aussi beaucoup de[3] charges et beaucoup de travaux en perspective. Voilà. Mais… ça répond à une envie, sinon vaut mieux… vaut mieux s’orienter sur autre chose. Voilà.
Jessica : Hum. Parce que vous habitez aujourd’hui cette… cette abbaye. Enfin une partie de l’abbaye en tout cas.
Didier : Voilà.
Jessica : Pour préciser. Alors, vous avez dit donc cistercienne. Cistercienne, ça signifie, habitée par des hommes ? C’est ce que vous avez dit ?
Didier : Alors, non. Des Cisterciens, il y a des abbayes cisterciennes hommes et des abbayes cisterciennes femmes. Mais ça n’était pas mixte. Ce sont des abbayes distinctes.
Jessica : Ah !
Didier : Et autrefois, donc jusqu’à la Révolution, puisque c’est une abbaye qui a été créée au XIIème siècle, et ça a duré jusqu’à la Révolution Française. Et ça a été vendu comme bien national en 1791 pour financer la Révolution en fait. Et les moines ont été priés de[4] partir et c’est l’État de l’époque, l’État révolutionnaire qui a vendu le bien au profit de la… de la Révolution de l’époque. Voilà. Et donc ensuite, c’est différentes familles privées. Et de mon côté, j’ai racheté il y a 14 ans cette propriété à la famille d’un général, le Général Du Pontavice, surtout que son épouse était Marie de Saint-Exupéry, c’était la cousine de l’aviateur. Voilà.
Jessica : Ah bon ! Ah ouah ! D’accord.
Didier : Donc les deux sont décédés aujourd’hui et se trouvent enterrés sur la commune ici. Donc pas très loin de l’Abbaye.
Jessica : Hum. Bon. Jusqu’à quand y-a-t-il eu des moines dans l’Abbaye du Reclus ?
Didier : Alors, l’Abbaye elle-même a été créée en 1142… 1142.
Jessica : Hm hm.
Didier : Et… c’est, de façon continue, ça a duré jusqu’en 1791, donc jusqu’à la Révolution Française.
Jessica : Jusqu’à cette vente, d’accord.
Didier : Jusqu’à cette vente et c’était fini de la… la vie régulière, c’est-à-dire de la règle de l’ordre des moines cisterciens à l’Abbaye sur place.
Jessica : Alors, justement, à quoi ressemblait leur… leur vie à ces moines ? Est-ce qu’ils vivaient en autarcie ou est-ce qu’ils… fabriquaient et vendaient, je sais pas, de la liqueur, des fromages ou… est-ce que vous connaissez leur vie ?
Didier : Je ne connais pas leur vie en détail. Mais par contre, dans l’organisation de vie de… d’une abbaye cistercienne, vous avez les… les moines cloîtrés, qui sont généralement des fils de famille, qui sont les… les moines cultivés. On les appelle aussi les moines de chœur, ceux qu’occupent le centre de l’abbatiale. Et ce sont ceux qui font les écritures dans les scriptorium, dans les bibliothèques. Et ceux-là sont vraiment cloîtrés.
Jessica : Ah !
Didier : Ils ne sortent pas. Par contre, de l’autre côté du cloître, il y a ce que l’on appelle les convers, qui sont des frères convers[5], qui ne sont pas des moines, et qui eux sortent. Et ce sont eux qui font… règlent la vie économique de la… qui sont la main d’œuvre des moines hein. Et ce sont eux qui vont dans les champs, dans les… qui font tourner les… ils utilisaient beaucoup le minerai de fer. Et donc ce sont les convers qui travaillaient à cette activité. Il y avait des tuileries, il y avait des moulins, il y avait de la pisciculture. Et tout ça, c’était les… donc les convers qui étaient la main d’œuvre qui… qui faisaient vivre…
Jessica : Ah, donc tout ça, donc les moulins etc., c’était donc sur le domaine de l’Abbaye, c’était beaucoup plus grand à l’époque alors ?
Didier : Oui, tout à fait. Les… les abbayes classiquement cisterciennes avaient des grandes possessions. Et les moines qui arrivaient comme… qui étaient des fils de famille, arrivaient une partie de leur fortune, et donc très souvent, ils avaient des possessions qui étaient très éloignées de l’Abbaye. Et il y avait des granges cisterciennes à dix, vingt, trente kilomètres de l’Abbaye, et qui étaient en fait des lieux de vie. Et qui servaient de… de pôle économique local, disons. Voilà.
Jessica : Vous savez combien de moines habitaient au niveau de l’Abbaye ?
Didier : Alors, ici, ça n’a pas été une abbaye très importante. Je pense que ça n’a rarement ou pas dépassé 100 cloîtrés.
Jessica : Alors, est-ce que vous pouvez définir le terme « cistercien », ou « cistercienne » en fait ? À quoi ça correspond, c’est un… un courant religieux ou une façon de vivre, qu’est-ce que c’est ?
Didier : Alors… oui. Alors le fondateur des Cisterciens, c’est Robert de Molesne. Robert de l’Abbaye de Molesne, qui est en Bourgogne. Et… Robert de Molesne a fondé l’Abbaye de Citeaux, qui est l’abbaye d’origine des Cisterciens. Citeaux, Cisterciens. Voilà. En réaction, vous savez toujours, à l’ordre bénédictin qui n’était plus aussi strict, aussi bien… aussi bien cadré disons. Et il a voulu créer un ordre qui irait… plus respectueux. Mais avec des… des règles bien… bien établies. Et donc Robert de Molesne a fondé l’Abbaye de Citeaux, mais comme c’était un moine discipliné, il a été rappelé par sa hiérarchie à l’Abbaye de Molesne où il est… où il a fini sa vie. En fait, le créateur des Cisterciens n’a fait que fonder l’Abbaye d’origine de Citeaux.
PART 2
Jessica : Hm hm. Très bien. Alors, je me… il va falloir me rafraîchir un petit peu la mémoire. Quand on avait visité votre… votre Abbaye, il y avait… des gravures sur les murs ou… est-ce que c’était une prison ?
Didier : Oui. Alors bon c’est… ici, la vie monastique a duré très longtemps. Et comme dans tous les ordres, sur le tard, peu de temps avant la Révolution, on est très loin de l’idéal cistercien d’origine.
Jessica : Hm hm.
Didier : Donc, l’époque des gravures, des motifs gravés que vous avez vus sur les murs, ça date en fait du XVIIIème[6] siècle, donc très peu de temps avant la Révolution.
Jessica : Ouais.
Didier : Et malheureusement, enfin on va dire ça comme ça, l’abbaye a servi de lieu de détention pour certains religieux et notamment pour des Jansénistes. Alors, les Jansénistes, c’était une déviation très austère du… de la religion catholique, qui était pourchassée par la hiérarchie ecclésiastique classique. Et puis, ils mettaient je pense un peu en péril[7] les privilèges de certains prélats. Et donc, bah ils ne faisaient pas l’unanimité, donc ils ont été internés ou assignés à résidence. Voilà.
Jessica : Donc, pendant qu’il y avait des moines cisterciens qui étaient cloîtrés dans l’Abbaye, dans la pièce entre guillemets d’à côté, il y avait des… prisonniers jansénistes.
Didier : Voilà, il y a eu des prisonniers. Et entre autres, est décédé ici à l’Abbaye … à l’Abbaye pardon, le père abbé de l’Abbaye de la Trappe, qui est une Abbaye connue. Voilà, qui avait été assigné à résidence ici à l’Abbaye de Notre Dame du Reclus et qui… qui est décédé donc au XVIIIème siècle. C’était un certain Dom Gervaise, voilà.
Jessica : D’accord. Alors, est-ce qu’il y a des bâtiments qui se sont ajoutés donc après… après la partie, donc après l’époque des moines ? Est-ce qu’il y a des bâtiments plus récents ?
Didier : Alors, l’Abbaye a connu beaucoup, beaucoup de vi… de vicissitudes. Parce qu’on est quand même sur le chemin des invasions, hein, nous sommes en Champagne[8], ici, hein, dans une… la région viticole, hein, des vignes de Champagne. Et si vous voulez, le… l’Abbaye a donc été créée au XIIème. Elle a eu tous ses bâtiments pendant 400 ans, jusqu’aux guerres de religion. Et dans notre région, les guerres de religion ont fait beaucoup de destruction. Donc, ici, pendant les guerres de religion, en 1567, l’Abbaye a été incendiée aux trois quarts.
Jessica : Hm.
Didier : La moitié des moines ont été tués.
Jessica : Ouah !
Didier : Et si vous voulez, toute la région a beaucoup souffert, hein, pas seulement l’Abbaye, hein. Et… et donc après, ça a été disons une abbaye avec très peu de moines. Je pense qu’ils étaient entre 15 et 20 moines, pas plus. Voilà. Donc ils ont fermé les cloîtres, ils manquaient de bâtiments parce que… il y a beaucoup de destructions. Les voûtes du dortoir se sont écroulées. Ils ont cloisonné[9] en cellules après. Donc si vous voulez, tout a évolué et aujourd’hui, il ne reste que peut-être 10 % des bâtiments d’origine mais ce qui représente encore, en surface utile, pas au sol, mais utile, encore pas loin de 3000 mètres carrés.
Jessica : Ah oui ! Oui, oui, oui. Et donc… la destruction par le feu était sur des bâtiments qui étaient en bois ?
Didier : Non, non, non non.
Jessica : Non ?
Didier : Non, non, c’était… c’était tout en pierre. Bah il reste aujourd’hui un côté du cloître, il reste la salle du chapitre, il reste[10] l’ancien parloir. C’est ce parloir qu’a été cloisonné dans lequel il y a les… les motifs gravés au mur.
Jessica : Hm hm.
Didier : Et il reste également l’ancienne sacristie. Et au-dessus une partie du dortoir mais sans la voûte. C’est-à-dire que tout a été séparé en cellules à… dans les… fin des années quinze cents (1500). Voilà.
Jessica : Hm hm. D’accord.
Didier : Donc, si vous voulez, c’est… voilà. C’est la vie du bâtiment. Même les destructions font partie de la vie d’un bâtiment. Alors, au XVIIIème, a été reconstruit le logis abbatial[11]. C’est la partie que personnellement j’occupe et j’habite.
Jessica : Hm hm.
Didier : Mais, il y a un changement de philosophie. En fait, ce sont des pères abbés nommés par le Roi, à la fin. Et le Roi nommait des pères abbés, des… des abbés dits commendataires, parce que les abbayes avaient des revenus. Et le Roi pensionnait certains dignitaires en les nommant sur des abbayes, voilà.
PART 3
Jessica : Quand vous avez au début, donc quand vous avez fait l’acquisition du… donc du domaine, ça représente un… donc beaucoup de travail au niveau de la rénovation, et aussi de l’entretien des bâtiments. D’abord, est-ce que vous pourriez nous dire si vous avez fait des… des rénovations spécifiques ? Et puis également, si ce n’est pas trop indiscret, comment est-ce que vous pouvez financer une telle entreprise[12] ?
Didier : Oui. Si vous voulez, quand on rachète[13] un bâtiment comme ça, il faut… il faut en avoir envie. Hein, déjà.
Jessica : Hm hm.
Didier : Parce c’est effectivement une entreprise assez lourde. Hein. Et si possible, bah quand on est trop jeune, on n’a pas les moyens de le faire, et quand on est trop vieux, je dirais, on n’a plus l’envie d’entreprendre de grosses choses, de gros travaux. Si vous voulez, moi j’ai eu la chance de travailler précédemment à Paris, où j’avais une petite entreprise, hein. Voilà. Et puis familialement, de mon côté et de mon… de la mère de mes enfants, on avait une certaine solidité quand même pour pouvoir entreprendre ce genre de choses. Et… parce qu’effectivement, le prix d’achat, c’est pas le montant principal de… de l’investissement, hein.
Jessica : Les coûts vont venir après sur l’entretien.
Didier : Voilà.
Jessica : Ouais.
Didier : On a… on a repris l’ensemble de ces bâtiments, ici, dans l’ancienne abbaye, après la tempête de 99[14], qui a fait beaucoup de dégâts, hein, sur toute l’Europe occidentale.
Jessica : Énorme tempête, je m’en souviens, le lendemain de Noël.
Didier : Énorme tempête, tout à fait, entre Noël et le jour de l’An. Et… et si vous voulez, quand on a repris l’abbaye, les arbres étaient couchés et c‘était… j’ai racheté, moi, en 2002. Donc vous voyez, même dans les arbres couchés, les petits arbres repoussaient à travers les arbres qu’étaient[15] par terre. Hein, voilà.
Jessica : Ah oui, d’accord.
Didier : Donc on a commencé par refaire tout un travail de dégagement. Et ensuite sur les bâtiments, on a vu, il y avait des bâches sur les toitures… voilà. Les premiers travaux que l’on attaque, ce… c’est de mettre tous les bâtiments à l’abri de l’eau, de l’humidité. Et donc on fait beaucoup de…
Jessica : Hm hm.
Didier : On est amené à faire beaucoup de toitures. Au début, on faisait une toiture par an. Donc faut pouvoir le faire, voilà, parce que c’est quand même un certain coût.
Jessica : Hm hm.
Didier : Et puis, on a vraiment commencé à faire quelques aménagements historiques, je dirais presque, presque 10 ans après l’achat.
Jessica : Qu’est-ce que vous appelez… par aménagements historiques ?
Didier : Alors, si vous voulez au début, ce que l’on fait, donc on refait des toitures, des écoulements. On refait une installation un petit peu… du fin du XXème siècle, début du XIXème siècle au niveau… qualité d’habitation. On…
Jessica : Hm hm.
Didier : Si vous voulez, on… il y avait des chauffages complètement obsolètes, l’un de… sur l’un des grands bâtiments, celui que j’habite, on est passés en chauffage en géothermie par puits par exemple. Ce qui permet de baisser beaucoup les coûts de fonctionnement. Mais c’est onéreux[16] au moment où on le fait mais c’est…
Jessica : Hm hm.
Didier : Je pense que c’est une bonne chose dans la durée. Et il faut se rappeler que les abbayes cisterciennes, c’est toujours dans des fonds de vallée, hein, des fonds de vallées secondaires. Dans des endroits où il y a de l’eau.
Jessica : Aaah !
Didier : Et l’eau c’est très important pour les moines, hein.
Jessica : Bien sûr. Oui, oui.
Didier : Parce que déjà les moines pratiquent la pisciculture, se nourrissent essentiellement de poissons. Et… et donc, si vous voulez, pour faire ce que l’on a fait, c’est-à-dire de la géothermie par puits, avec des puits de puisage et des puits de rejet, c’est important d’avoir beaucoup d’eau sous les pieds. Voilà. Donc, si vous voulez, voilà. Il y a eu beaucoup de travaux utiles pour assainir les bâtiments, aussi bien… voilà. Et puis refaire les électricités, les plomberies, les… tout ce qui n’était plus… tout ce qui n’était plus…
Jessica : Aux normes ? Ouais.
Didier : Et c’est seulement après, une fois qu’on a assaini les bâtiments, qu’on peut commencer, je dirais, à se faire plaisir. On se fait déjà plaisir avant hein. Mais je veux dire… plaisir historiquement. Voilà, en essayant de faire des recherches et… certaines choses de mise en valeur, des murs parasites, des… des choses comme ça, que l’on enlève…
Jessica : Ah !
Didier : On ré-ouvre des portes aux… aux tailles[17] d’autrefois, vous voyez, avec les arrondis. Souvent, elles ont été rapetissées pour éviter les courants d’air ou des choses comme ça. Donc si vous voulez, on commence à faire des travaux intéressants, bah, une fois que les travaux indispensables ont été faits. Voilà.
Jessica : D’accord.
Didier : Donc on a la chance d’être dans cette phase-là. Et je dois avouer, c’est bien agréable. Voilà.
Jessica : Hm hm. Donc ça permet peut-être de… de faire des découvertes, de découvrir peut-être des… je sais pas, le… le sol d’origine ou de nouvelles gravures derrière des murs. Vous avez fait des découvertes intéressantes récemment ?
Didier : Alors, récemment, on a démuré[18]… c’est-à-dire… on a démuré des colonnes qui étaient dans le prolongement du cloître…
Jessica : Hm hm.
Didier : Qui étaient enfouies dans un mur, donc il y a encore tous les enduits du mur qui sont sur les colonnes mais le… le risque, c’était qu’ils aient enlevé les colonnes avant de monter le mur. Or, on…
Jessica : Ah oui !
Didier : On a eu la bonne surprise qu’ils… de voir qu’ils n’y avaient pas touché. Toute l’ossature d’origine se trouvait encore là. Ça, c’était déjà une bonne… une bonne découverte et ça nous permettait d’allonger un petit peu le cloître même si… enfin le côté du cloître qui reste hein. Nous n’avons plus qu’un côté du cloître. Voilà.
Jessica : Donc vous aviez connaissance… pardon, vous aviez connaissance de[19] l’existence de… de ces colonnes avant de… de fouiller dans le mur en fait ?
Didier : Oui, parce que… tout à fait parce que c’était la continuité de ce qui existait qui était apparent… et on ne savait pas si la suite se prolongeait. Voilà.
Jessica : D’accord.
Didier : Et l’architecte… comme ce bâtiment est entièrement classé, l’architecte des bâtiments de France nous avait imposé de faire des sondages préalables avant d’enlever le mur.
Jessica : Ah.
Didier : Pour s’assurer que… on risquait pas de voir tout s’écrouler. Ce qui était assez sage.
Jessica : Oui. Bah oui, effectivement, oui. Oui, oui oui.
PART 4
Jessica : Et donc vous vivez de… de dons ? Ou est-ce que l’État vous… vous aide à financer ces rénovations comme c’est un bâtiment classé ? Comment ça fonctionne ?
Didier : Le principe des années… en fait, on termine un petit peu un… un cycle. Je pense que tout le monde n’est peut-être pas de cet avis-là. Mais on sent que l’engagement de l’État est en train de diminuer.
Jessica : Ah.
Didier : Les contraintes par contre, restent assez présentes. Mais je pense que… l’État, sur un… en France, nous avons deux niveaux de classement. Nous avons un niveau de classement plus… le plus basique, qui c’est ce qu’on appelle, « inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques ». On dit ISMH. Ça, c’est le premier niveau de classement, où le propriétaire, quand il fait des travaux, a le choix de l’entreprise, le choix des travaux, mais avant la réalisation des travaux, il doit aller soumettre à l’architecte des bâtiments de France, qui donne son feu vert ou demande des modifications, ou s’y oppose, éventuellement. Voilà.
Jessica : Hm hm.
Didier : En échange de ces contraintes, le… la DRAC, la Direction Régionale des Affaires Culturelles… participe au financement. Et c’est l’architecte des bâtiments de France qui décide du pourcentage.
Jessica : Hm hm.
Didier : Généralement, ça tourne aux alentours de 15 % mais en fonction des années… ça peut varier en fonction des enveloppes[20] du Ministère de la Culture, hein.
Jessica : Hm hm.
Didier : Voilà. Et puis quand on est classé au plus haut, ce qui est le cas, par exemple, de tout le bâtiment du XII-XIIIèmes, qui se trouve ici…
Jessica : Ouais.
Didier : Là, les aides, qui par contre étaient de 50 % voire plus à certaines époques, c’est plutôt descendu vers 30-35 % aujourd’hui. Voilà. Et je pense que…
Jessica : Ah oui, donc c’était pas mal.
Didier : Je pense que ça ne remontera plus.
Jessica : Hm hm.
Didier : Mais ces… par contre, tous ces travaux… on est quasiment complètement dessaisi des travaux et… c’est… l’architecte des bâtiments de France décide des financements et des aides. Mais c’est l’architecte des Monuments Historiques, qui est un privé, qui est élu sur concours sur un secteur… et qui, en fait, a le suivi des travaux des bâtiments classés. Voilà.
Jessica : Hm hm.
Didier : C’est aussi bien sur la cathédrale de Reims que sur l’Abbaye du Reclus que sur… sur telle autre église. Voilà.
Jessica : Et comment s’appelle ce classement à ce niveau supérieur ?
Didier : C’est classé Monument Historique, MH.
Jessica : Monument Historique.
Didier : Donc c’est ISMH, et MH tout court, c’est le classement au plus haut.
Jessica : Hm hm.
Didier : L’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, voilà. Hein.
Jessica : Ouah, donc c’est vraiment presque un… un honneur pour vous d’avoir un MH chez vous ?
Didier : C’est… c’est un honneur, tout à fait. Et une contrainte (rires). C’est-à-dire qu’en fait, on est quasiment dessaisi des… pas dessaisi, parce que si on ne décide pas de lancer des travaux, personne ne le fera à notre place vraiment. Enfin l’État…
Jessica : Et donc le bâtiment tomberait en ruines sans… sans vous en fait ?
Didier : Alors, c’est à ce niveau-là que l’État pourrait prendre le relais et… et faire quelque chose. Mais actuellement, je sais pas s’il le pratique, voilà.
Jessica : Hm hm.
Didier : Compte tenu de l’investissement qui est plutôt en… en diminution qu’en augmentation. Voilà, de… de l’État, hein. Voilà. Alors, après, est-ce qu’on va vers un système d’aides, plus à l’américaine, de fondations, de choses comme ça ?
Jessica : Ah oui !?
Didier : Pour l’instant, nous… je n’en ai pas connaissance. Mais c’est pas impossible qu’on aille dans cette direction. Voilà.
Jessica : Hm hm, d’accord. Alors, c’est possible de visiter votre Abbaye et même d’y dormir. Est-ce que vous pouvez présenter un petit peu ce que vous faites pour les visiteurs ?
Didier : Oui. Alors, il y a deux choses. Effectivement, l’Abbaye, nous l’ouvrons à la… à la visite. À des dates et des heures précises. Donc du 1er juin au 30 septembre, c’est ouvert deux heures le matin, 10h-midi, et 14h-16h, sauf le mardi. Voilà, mais tous les jours, même le dimanche, donc de début juin à fin septembre. Et puis le reste de l’année, on accueille plutôt des groupes mais sur… sur rendez-vous uniquement, ça c’est… c’est pour pouvoir garder un petit peu de liberté parce que sinon, c’est assez contraignant, voilà.
Jessica : Ouais, et puis ça reste… c’est vraiment chez vous, en plus.
Didier : Voilà, et puis ça reste une maison privée donc… c’est ouvert juste pendant la période d’été, à des heures régulières, sans avoir à prendre rendez-vous, voilà.
Jessica : Hm hm.
Didier : Alors, également, depuis que nous sommes là, j’ai… nous avons créé deux gîtes, ici sur place. Le premier gîte, c’est un gîte de neuf personnes, qui est dans l’ancienne hôtellerie de passage de l’Abbaye, c’est-à-dire, c’est le lieu où les… vraiment les gens de passage étaient hébergés pour une nuit, deux nuits, les pèlerins ou autres. Qui étaient…
Jessica : Donc, c’est toujours le cas maintenant ? Hm hm.
Didier : Et nous continuons maintenant aujourd’hui mais ils ne sont plus hébergés dans l’hôtellerie de passage, ils sont hébergés dans les anciennes cellules de moines, aujourd’hui. Voilà. Et c’est… donc il y a un gîte qui a été fait dans l’ancienne hôtellerie de passage. Et d’ailleurs principalement dans les anciennes cuisines de l’hôtellerie de passage. Et puis nous avons fait un deuxième gîte qui est ouvert plus récemment, depuis, je crois, 2012. Et celui-là, c’est justement dans les anciennes cellules de moines, au-dessus de la salle du chapitre et du cloître. Et c’est un gîte qui fait… qui est assez grand puisqu’il y a… il y a en fait six… six cellules qui sont des chambres, et puis plus salle à manger, cuisine et voilà… salon etc.
Jessica : Hm hm. Voilà, pour les auditeurs qui sont intéressés pour découvrir l’Abbaye ou s’ils ont envie de passer la nuit dans un endroit assez insolite et en tout cas, historique et magnifique, en Champagne, vous pouvez aller sur le… le site internet de l’Abbaye. Je le mettrai dans les… dans les notes de l’épisode. Donc je mettrai le lien, d’accord. Vous avez mentionné des pèlerins. C’est vrai que quand on était venus, il y avait à l’époque un… un pèlerin qui faisait le pèlerina/le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Est-ce que c’est fréquent ?
Didier : Alors, ici à l’Abbaye, nous sommes actuellement sur le chemin de Saint-Jacques pour les pèlerins qui viennent du nord de l’Europe, c’est-à-dire du nord de l’Allemagne, de la Hollande, de… de Flandre. Nous recevons effectivement… pas beaucoup, mais quelques 30… 30 à 50 pèlerins par an. Que nous…
Jessica : Hm hm.
Didier : Que nous hébergeons[21]… ici à l’Abbaye et qui sont sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Et ils leur restent à peu près 2400 kilomètres à faire à pied quand ils sont chez nous.
Jessica : Rien que ça ! Ouais. Oui, c’est vrai qu’il venait de… de Belgique. Et donc ceci explique cela, en fait. Vous, vous êtes sur le chemin, sur la route du pèlerinage, en fait. OK.
Didier : Voilà. Ils ont… voilà, ils ont généralement 15 jours, trois semaines de marche quand ils viennent de Hollande, et qu’ils arrivent chez nous.
Jessica : Hm hm.
Didier : Ça fait 15 jours, trois semaines. Mais il leur reste à peu… un bon trois mois à faire avant… avant l’arrivée.
Jessica : Ah ! Ah, c’est long ! Trois mois ! Ah je pensais pas, hein. Parce que c’est vrai qu’en voiture, on y va en un rien de temps mais… hm.
Didier : Ouais, ouais. Sur une moyenne de 20 kilomètres par jour, il faut compter un peu plus de trois mois, ouais. De chez nous.
Jessica : Ouah ! Ouais, ouais. C’est une sacrée aventure ça.
Didier : Jamais dormir deux fois au même endroit, c’est… c’est une expérience.
Jessica : Ouais, ouais, ouais. Ouais, et puis il faut avoir quand même de bonnes chaussures aussi. Et un bon mental probablement.
Didier : Mais vous savez ce que l’on voit chez les pèlerins ? C’est qu’il y en a un sur deux qui font le pèlerinage sans avoir vraiment un motif religieux. Ce pèlerinage, c’est une façon de… un petit peu de recherche intérieure.
Jessica : Hm hm.
Didier : De se tester soi-même, de connaître ses limites. Et en fait, c’est une… c’est un peu un questionnement, c’est une recherche de soi, quelque part aussi.
Jessica : Voilà, donc spirituel, sans nécessairement être religieux. Et puis, aussi une façon de voyager un petit peu de façon différente probablement, également.
Didier : Oui. Et vous… vous avez certains pèlerins qui refont le pèlerinage par des voies différentes. Souvent. C’est…
Jessica : Hm hm.
Didier : C’est… ils le font pas qu’une fois dans leur vie. Il y en a. Alors, il faut vraiment être… vraiment être un adepte du pèlerinage mais il y en a qui le… voilà. J’en ai déjà vu qui l’avaient déjà fait et qui repassent par des chemins différents.
Jessica : Ouah, super. Donc on a fait une belle petite incursion dans l’Histoire. L’Histoire de France, les guerres de religion, les pèlerinages, la Révolution Française, grâce à vous Didier. Donc je vous remercie beaucoup, beaucoup, d’avoir accepté de prendre un petit peu de temps pour nous présenter l’Abbaye du Reclus. Et puis je vous dis… Ouais, rendez-vous bientôt puisqu’on va passer… on va passer en France, et on viendra vous voir.
Didier : Eh bien c’est très gentil.
Jessica : Je vous remercie. Et puis, pour les auditeurs, n’hésitez pas à aller voir le… le lien… donc vers le site internet, pour découvrir l’Abbaye en photos. Et puis donc plus d’informations si vous le souhaitez. Merci beaucoup.
Didier : À bientôt, au revoir.