Part 2 – Pol Corvez, photographer-teacher-sailor-writer all in one!
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PART 1
[…]
Jessica : Ouais. Mais c’est vrai que… je pense que tu seras d’accord avec moi de toute façon, quand on aime la photographie, qu’on se promène avec un appareil photo, ça force un peu à regarder les choses avec un œil[1] totalement différent. Et du coup…
Pol : Hm hm, tout à fait, tout à fait. Et…
Jessica : On est plus sensible aux reflets, à la lumière…
Pol : Oui, oui, c’est ça. Et même je dirais que… c’est Zola, je crois, qui disait, si ma mémoire est bonne, je crois que c’est Zola qui disait qu’on n’a jamais… qu’on n’a pas vu une chose correctement avant de l’avoir photographiée. Émile Zola.
Jessica : Ah oui, ouais.
Pol : Ouais. Et de fait, je… je crois que là, je suis totalement en accord avec certains photographes, notamment… états-uniens… qui… qui disent bah je prends des photos pour voir ce que le monde… pour voir à quoi ressemble le monde en photos.
Jessica : Hm hm.
Pol : C’est-à-dire, c’est pas pour prendre des photos du monde, c’est pour… pour voir… tiens[2], qu’est-ce que ça… qu’est-ce que ça donne, qu’est-ce que ça rend ? Comment la photo… comment la photographie voit le monde en fait.
Jessica : Oui, donc c’est…
Pol : Voilà. Ce n’est donc pas une reproduction, quoi. C’est… ça devient quelque chose qui nous apprend… qui nous… qui nous donne un nouveau regard sur le monde finalement. Et qui est souvent très étrange en fait.
Jessica : Ouais, ouais. J’aime bien cette définition.
Pol : Ouais, c’est une définition intéressante, ouais, ouais.
Jessica : Alors, juste par curiosité, tu as quelle… quelle marque d’appareil, enfin quel équipement ?
Pol : Oh, alors là… généralement, je réponds pas à cette question-là !
Jessica : Ah d’accord, ouais.
Pol : Je vais te dire pourquoi. Parce que il ne viendrait… il ne viendrait jamais à l’esprit d’un journaliste ou un reporter de demander à un écrivain avec quel stylo il écrit.
Jessica : Aah ! Ça c’est une belle réponse ! Oui, oui, oui je comprends. Oui, oui.
Pol : Donc que ce soit un Mont-Blanc ou un Bic[3], ça n’a aucune importance.
Jessica : C’est vrai. Alors… je vais te dire, je suis d’accord parce qu’il y a une… il y a un petit peu comme une guerre entre… alors je vais te dire ce que j’ai… et tu me dis pas hein, tu n’as pas souhaité t’exprimer mais… pour plusieurs raisons, moi j’ai fait le choix d’avoir un Pentax.
Pol : Hm hm.
Jessica : Et c’est un peu la guerre entre… entre Canon et Nikon, en fait, je trouve. Et c’est assez flagrant parce que… enfin, moi ce que j’ai trouvé c’est que quand je cherche à… me procurer un objectif ou que je… que je voulais… même à Hong-Kong, où il y a quand même énormément d’appareils, d’équipements photographiques…
Pol : Oui.
Jessica : C’était très difficile de trouver de l’équipement avec ma marque parce que… avec les deux monopoles.
Pol : Oui, oui.
Jessica : Et finalement, on me disait souvent, oh mais les couleurs, ou tes photos sont très bien mais c’est… c’est l’appareil photo, c’est vraiment ce que c’est… c’est la machine…
Pol : C’est la machine oui.
Jessica : Mais après c’est vraiment l’œil du photographe qui fait le… le travail.
Pol : Voilà, voilà. C’est ça. Et quand je… là j’organise des stages ou j’anime des stages photo de temps en temps, quand… à la demande. Et tout ce qu’on fait pendant ces… pendant ces stages, c’est apprendre à… apprendre à regarder. C’est-à-dire que la… la technique… la technique photographique… je dis toujours à mes… à mes stagiaires, comme je le disais à mes étudiants avant, quand j’enseignais la photographie à l’université. Je leur disais : « il y a des bouquins[4] pour ça ».
Jessica : Oui, oui oui.
Pol : Voilà. On trouve tous les bouquins techniques que l’on veut. Et ça ne pose aucun problème. Mais il y a très très peu de bouquins sur le regard photographique. Voilà.
Jessica : Et donc tu crois que ça s’enseigne vraiment ou c’est vraiment plutôt… ça relève du talent ?
Pol : Ah oui, je crois que ça s’enseigne. Ça s’enseigne, mais pas nécessairement à travers la photographie. Ça s’enseigne… moi j’aime bien aller avec mes stagiaires de photographie, j’aime bien aller dans un musée… Pour leur dire… voilà : le peintre, il n’est pas photographe mais voilà ce qu’il fait avec… avec ses pinceaux et ses couleurs. Voilà. Qu’est-ce que… regardez le cadrage par exemple, qu’est-ce qui se passe ? Et très souvent, par exemple, le… le cadrage de… je dirais, 99,9 %[5] des photos, c’est… c’est d’abord un portrait dans un… et un paysage, mais souvent les deux ensemble, et la personne est… est toujours au centre de l’image.
Jessica : Oui.
Pol : Voilà. Tout simplement parce que le viseur des appareils photo actuellement… pousse à regarder le centre de la photo comme une cible.
Jessica : Exactement, c’est là que le… oui, la mise au point se fait…
Pol : C’est une cible, c’est tout. Donc c’est… on… c’est vraiment le… comme on dit en anglais, c’est le bullseye, hein. Et voilà, on est au… on est au centre de la cible quoi. On met les personnages au centre de la cible. Et ça me frappe[6] toujours quand je… quand je vais dans un… dans des musées et non pas… et pas uniquement des musées de photographie, hein, des musées de peinture, etc., de voir comment la plupart des peintres ne mettent jamais rien au centre de leurs toiles. C’est toujours secondaire ce qui se passe au centre. Ce qui est important, c’est ce qui est… c’est ce qui est plutôt sur… sur les bords on va dire. Pas tout à fait sur les bords non plus, mais bon.
Jessica : Sur ce qu’on appelle les points chauds de l’image.
Pol : Peut-être les points chauds, oui alors il y a cette… la règle des tiers etc., le nombre d’or et ainsi de suite. Bon, ça ce sont des règles qu’il faut… c’est comme les règles de grammaire, il faut… elles sont… elles sont là pour être détournées je pense. Mais c’est… je crois que c’est des bons points. Et quand on regarde… quand on regarde les… les photographies de… de grands photographes, on s’aperçoit que… ils cadrent vraiment jusqu’au bord… de… de leur viseur, hein, et donc de la photo. On s’aperçoit que le… au centre, il y a très très peu de choses finalement. Ouais, voilà.
PART 2
Jessica : Ouais, ouais ouais. Alors, est-ce que tu… tu as tendance à prendre et ensuite à recadrer ensuite ou… ?
Pol : Non, non. Non, je prends très peu de photos. Ça, je suis resté… je suis resté fidèle à l’esprit de l’argentique. Quand c’était très cher, on prenait très peu de photos parce qu’on n’avait pas…
Jessica : C’est vrai, on faisait attention[7].
Pol : Bah oui, on faisait attention évidemment. Eh bien, donc je ne vois pas pourquoi on ne ferait pas attention maintenant parce que… tout simplement parce que c’est gratuit. Parce que je crois que précisément c’est… c’est trop facile de prendre des milliers de photos. Mais finalement sur des milliers de photos, il y en a peut-être aucune[8] qui… qui soit bonne. Ce n’est pas parce qu’on prend mille photos qu’il y en a… qu’il y en a une bonne. On peut prendre une photo et cette photo-là, elle peut être magnifique. Et en plus, on perd moins de temps pour la post-production, hein, donc sur l’ordinateur etc. maintenant, le temps qu’on passe, le temps que certains photographes passent pour regarder leurs photos, les jeter, les… les classer etc. etc., leur donner un certain nombre d’étoiles, et ainsi de suite, c’est complètement affolant. C’est-à-dire qu’ils passent plus de temps en post-production qu’à la prise de vue.
Jessica : Ouais, ouais.
Pol : Ce qui est un peu dommage.
Jessica : Alors, on a ce débat avec… avec mon mari, on fait tous les deux de la photographie amateur, bien sûr, mais lui aime justement… juste prendre et puis ensuite recadrer etc., et moi je passe un temps fou sur le terrain à composer et c’est ce qui fait pour moi le plaisir pur et…
Pol : Voilà ! Moi aussi. Voilà !
Jessica : Et d’avoir tout en position comme je souhaite, le moment où j’appuie sur le bouton, c’est le moment de plaisir. C’est pas après du tout, ah non.
Pol : Oui, oui, oui, oui. Après, c’est… après, c’est un travail de laboratoire. Mais, parfois on recadre parce qu’on est bien forcé de recadrer parce qu’il y a un objet qu’on ne pouvait pas éviter etc. et qu’on a… dans l’appareil photo… on a un cadre qui est rigide, si tu veux. Mais…. Et donc on peut le rendre plus souple après sur l’ordinateur, comme on le faisait en laboratoire. Évidemment on peut recadrer. Il n’y a que quelques photographes qui… qui faisaient… qui en faisaient une religion de ne jamais recadrer. C’était Cartier Bresson par exemple, hein Henri Cartier Bresson…
Jessica : Ah oui !
Pol : Ne recadrait/ne recadrait jamais. Bon. Bon, c’est une… c’est un parti-pris, je crois. On peut le suivre ou on peut ne pas le suivre, ce n’est pas un problème. Mais quelque part, je me dis que… Cartier Bresson avait peut-être… enfin, sa… sa démarche était intéressante parce que précisément, il fallait voir… il fallait prévisualiser les photos, déjà dans l’appareil.
Jessica : C’était du brut, enfin sa marque, c’était plus du brut[9] quoi.
Pol : Le… c’est-à-dire on… on prend soin… on accorde beaucoup de soin au travail de prise de vue, hein et de cadrage. Et je crois que ça c’est important.
Jessica : Son plaisir à lui devait venir de là. Alors pour information Cartier Bresson a fait beaucoup beaucoup de photographies de… de Paris etc. Donc vous pouvez regarder, je mettrai un lien[10] aussi…
Pol : Oui, oui et de… et du monde entier, parce que ça a été… ça a été un grand reporter. Et ses… ses photos sont vraiment extraordinaires à ce niveau-là. Bon, c’est vrai que maintenant la nouvelle génération de photographes ne suit pas nécessairement les… les préceptes de Cartier-Bresson mais bon, c’est un moment dans l’histoire de la photo qui était très intéressant. Bien sûr.
Jessica : Alors, pour revenir sur tes photos à toi, est-ce qu’il y en a… est-ce que tu as une… une photo que tu as prise et que tu affectionnes particulièrement, ou qui a été prise dans des… des conditions mémorables, ou pour lesquelles il y a une anecdote derrière cette photo ?
Pol : Oh là là, quelle question ! Quelle question ! Écoute, je ne sais pas, je me dis toujours que ma meilleure photo, c’est celle que je n’ai pas encore prise.
Jessica : Hm hm, d’accord. Tu la prendras peut-être demain.
Pol : Oui, peut-être demain, ou peut-être jamais d’ailleurs, je… je ne sais pas. Non, des… je… je ne vois pas. Je crois que de toute façon, pour un photographe… enfin… je parle en mon nom personnel, je ne peux pas parler pour la… pour la totalité des photographes bien évidemment. Je crois qu’un photographe n’est pas… n’est pas l’homme ou la femme d’une photographie. C’est un… c’est un corpus si on veut, c’est un ensemble de photographies que… que l’on prend pendant sa vie et on… finalement ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’on peut dire, bah voilà, j’ai… j’ai une collection intéressante de photographies. Parce que ça peut arriver qu’on puisse prendre une photographie extraordinaire mais une seule. Chacun peut tomber juste au bon moment etc. quand… quand l’avion s’écrase, ou ce genre de choses-là, vraiment le… le scoop. Mais pour moi, ça ne fait pas… ce n’est pas un scoop qui fait le photographe. C’est un… c’est un ensemble, c’est une démarche, je crois, qui est… qui est longue, qui est frustrante parfois. Et qui… et qui est très mouvante, c’est-à-dire à un moment, on peut très bien s’intéresser… moi je me suis beaucoup intéressée aux… aux ruines de… par exemple, aux bâtiments en démolition. Mais déjà dans les années 70, des bâtiments, je me rappelle… bon j’ai des photos du Portugal, de… ou d’Espagne, ou des États-Unis, où[11] je m’intéressais beaucoup… beaucoup finalement à la… à la démolition, qui me semble être… ou l’abandon de… l’abandon de maisons etc. qui pouvait être dû aux incendies, ou bien la rénovation urbaine et ainsi de suite. Et pour moi, c’était quelque chose qui… qui disait… qui racontait quelque chose sur la fin d’un monde, finalement, un cataclysme quelconque, une apocalypse quelconque. Maintenant, je… je suis moins dans ce type de photos. Je m’intéresse plus actuellement aux photos en pose plus longue, avec des expositions assez longues… qui… qui révèlent autre chose, c’est-à-dire que… qui révèlent les choses qu’on ne peut pas voir à l’œil nu. Voilà. Avec, par exemple, bon dans mon site, j’ai une série… une série de nus sur un lit, ce sont… ce sont des photos qui… qu’on ne peut pas visualiser parce que l’œil ne… l’œil ne voit pas de la même façon que l’appareil photo.
Jessica : Ouais, ouais.
Pol : Et avec donc ce… le filet, le flou de bougé etc., puisque le modèle bougeait pendant les prises de vue, hein, c’était des prises de… de cinq, six secondes, etc., etc. Et c’est quelque chose qu’il est impossible de voir à l’œil nu.
Jessica : Oui, bien sûr, oui.
Pol : Et ça, ça m’intéresse, ça m’intéresse de plus en plus.
PART 3
Jessica : Oui, donc en fait tu explores… un petit peu une idée ou un concept, ou tu joues avec et puis ensuite… ça évolue naturellement.
Pol : Non je ne joue pas avec, je travaille. Je ne joue pas avec, je travaille avec.
Jessica : Tu travailles.
Pol : C’est pas… c’est pas simplement… c’est pas un jeu. Tu vois. C’est vraiment une recherche… plastique.
Jessica : D’accord.
Pol : Mais qui a… qui… que je n’explique pas pour la plupart… pour la plupart des cas… je n’explique pas pourquoi telle chose m’intéresse à un certain moment de ma vie. Mais peut-être qu’un jour je le comprendrai. Ou il faudrait que… que j’aille faire une psychanalyse pour voir un petit peu, mais ça ne m’intéresse pas trop. Je préfère travailler, travailler et puis voir ce qui… voir ce qui en[12] sort.
Jessica : Ouais, d’accord. C’est intéressant hein que tu fasses la différence entre jouer et travailler. Parce que quand je l’ai utilisé c’était un peu sous forme d’expression mais aussi parce que c’est un plaisir etc.
Pol : Oui, bien sûr.
Jessica : Mais le travail, c’est plus technique.
Pol : Bah le travail n’exclut pas le plaisir.
Jessica : Oui, oui bien sûr.
Pol : Pour moi, justement jamais… jamais… ça a été le… le grand principe de ma vie. Ne jamais travailler sans plaisir ou sans désir. Je dirais même désir plutôt que plaisir. Parce que c’est… la psychanalyse insisterait là-dessus, hein. Donc il faut qu’il y ait énormément de désir pour travailler correctement.
Jessica : Oh bah là tu… tu prêches une convaincue.
Pol : On ne peut pas travailler sans désir. Je ne pense pas. Enfin, on ne peut pas bien travailler sans désir.
Jessica : Oui, c’est pour ça que c’est comme… enfin, on a la chance toi et moi d’avoir… ou de toujours actuellement notre travail, c’est notre passion en même temps. C’est une chance.
Pol : Oui, voilà, c’est ça. Oui, c’est une très grande chance. Je crois que c’est le grand luxe actuellement, dans notre société, c’est le grand luxe. Parce que.. autrement, on devient esclave.
Jessica : Oui, tout à fait.
Pol : S’il n’y a pas de désir, on devient esclave évidemment. Et donc l’esclavage a été aboli, hein. (rires). Même s’il existe toujours, évidemment. Oui, oui. Mais précisément, c’était… c’était pour mieux comprendre le… ce qui… ce qui a trait à la photographie que… que j’ai recommencé mes études. J’ai repris mes études, j’avais 39 ans, après avoir été photographe professionnel et… je voulais un petit peu théoriser les choses au niveau de la photographie.
Jessica : Alors, ça c’est… voilà, donc c’est là que tu as étudié la sémiologie de l’image, c’est ça ?
Pol : Donc c’est là que… donc j’ai rencontré… j’ai rencontré une prof de Sciences du Langage et de Sémiologie de l’Image. Qui m’a bien accueilli… alors que j’étais presque aussi vieux qu’elle. Mais ça, ça n’a pas grande importance. Et elle m’a fait suivre[13] des cours de Sciences du Langage parce que… me disait-elle, le… les concepts de la sémiologie donc de cette… la sémiologie, c’est ce qu’on appelle la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale. D’accord, ça c’est une citation… une citation de Saussure. Voilà.
Jessica : Alors, juste pour faire une parenthèse, la sémiologie a été définie donc par Marie Treps dans les épisodes 38 et 39 de French Voices.
Pol : D’accord, ok.
Jessica : Alors, elle, elle parlait de la sémiologie des mots. Donc c’est juste un petit rappel pour les auditeurs. Est-ce que tu pourrais… alors je te laisse continuer, peut-être définir un petit peu, la sémiologie qu’est-ce que c’est appliquée à l’image ? Est-ce que tu as aussi des… des exemples pour éclairer un peu les auditeurs qui… qui ne connaissent pas ce jargon en fait ?
Pol : Hm hm, d’accord. Alors… donc, pour les Français, on parle de sémiologie, les Anglais parlent plutôt de semiotics. D’accord. Mais c’est à peu près la même chose, c’est-à-dire que on se… on se réfère à deux… deux parents… on va dire, deux fondateurs de la sémiologie, ou de la sémiotique… il y en a un qui… et qui sont à peu près de la même époque. Aux États-Unis, il y avait Pierce, et puis en Suisse, il y avait Saussure. Et donc chacun a donné sa définition de la sémiologie. Moi j’aime bien celle de… j’aime bien celle de Saussure, qui est donc : « La sémiologie, c’est la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ». Donc tout ce qui fait signe. Voilà, donc la langue évidemment c’est un système de signes. Donc on peut parler de sémiologie du langage. On peut aussi parler de la sémiologie des gestes. On peut parler de la sémiologie des comportements. Par exemple… un exemple simple qui… que j’ai connu personnellement évidemment, c’est… quand j’étais aux États-Unis, j’ai rencontré une demoiselle, qui est devenue mon épouse, et on est arrivés… on est revenus en France parce qu’elle voulait voir comment… comment était la vie en France. Et donc évidemment, étant américaine, elle n’avait pas le même… elle n’avait pas nécessairement les mêmes comportements que les Français. Et quelque chose qui… quelque chose qui l’a… qui l’étonnait… c’est que aux États-Unis, quand on a des invités et que ces invités partent, on dit au revoir et on ferme la porte. Et en France, on dit au revoir et sur le pas de la porte, on recommence une conversation.
Jessica : Aaah, oui, c’est vrai. Oui.
Pol : Voilà. Bon. Donc, c’est quelque chose de complètement culturel. De la même façon, les Français n’arrêtent pas de s’interrompre lors d’une conversation. Les États-uniens…
Jessica : Alors, c’est vrai et je culpabilise beaucoup d’ailleurs ici.
Pol : Et les États-uniens… je ne sais pas pour les Australiens mais les États-uniens ne s’interrompent jamais, hein, c’est très très rude, hein, c’est c’est impoli.
Jessica : Malpoli, hm hm.
Pol : Voilà. Et quand nos amis interrompaient ma femme, elle se disait mais euh… s’ils m’interrompent, ça veut dire que ce que je dis, bah ça n’a aucune importance. Et donc elle était très très malheureuse. Et il a fallu qu’on… qu’on décode ce comportement, qui est un comportement différentiel, et qu’on lui dise : « Non en France, c’est comme ça, la conversation c’est un jeu. La parole, c’est une balle de ping-pong que l’on reprend très rapidement etc., etc., donc on peut interrompre les gens, ce n’est pas un problème ». Alors qu’aux États-Unis, on ne le fait pas. Voilà, c’est tout. Et ça… ça a simplifié les choses après. Mais… voilà, donc la sémiologie… la sémiologie des comportements, c’est… voilà deux exemples qui en font partie.
Jessica : Effectivement, c’est tout à fait inconscient parce que ça explique pourquoi…
Pol : Bien sûr.
Jessica : Je me rappelle que mon mari n’arrêtait pas de me dire, mais tu dis au revoir quarante fois…
Pol : Oui, voilà c’est ça.
Jessica : Et tu ne pars pas. Et… et… bah oui, ça fait rude, exactement. C’est exactement ça. C’est très culturel.
Pol : Oui, c’est ça. Et il y a une… il y a un… un livre qui a été écrit par une… une Française qui a épousé un… un États-unien, qui s’appelait Madame Carroll, je crois, C-A-R-R-O-L-L, et qui s’appelait « Évidence invisible ». Et c’était ça, c’était des évidences invisibles. Pour nous, c’est évident en France que on recommence une conversation quand… quand les gens partent. Et pour les… pour les États-uniens, ce n’est pas du tout… alors les Australiens, je ne sais pas. Ou les Canadiens, je ne sais pas non plus.
Jessica : Quand on pense à ça, c’est pas logique hein finalement.
Pol : Non, bah il n’y a aucune logique, c’est… c’est comme de… c’est comme de se dire bonjour en se serrant la main, ou en se faisant la bise, ou en se faisant simplement « bonjour », tu vois, sans… sans contact physique. C’est simplement ça. Il n’y aucune… il n’y aucune raison. C’est… c’est simplement une habitude.
[…]
(à suivre)