Part 3 – Pol Corvez, photographer-teacher-sailor-writer all in one!
PART 1
[…]
Jessica : Alors, là tu parlais de la sémiologie du comportement. Est-ce que tu pourrais nous présenter la sémiologie de l’image rapidement ?
Pol : Alors la sémiologie de l’image est peut-être un petit peu plus… plus complexe puisque dans la sémiologie… la sémiologie par exemple d’un… du code de la route, pour prendre un exemple assez facile. La sémiologie du code de la route, on a affaire à des panneaux du code de la route[1] qui sont différents. Qui s’opposent les uns aux autres et qui forment un système. Donc on peut très bien étudier ça en disant voilà, quelle est la valeur du rouge par exemple dans les panneaux, ou la valeur du bleu.
Jessica : Ouais, donc interdiction / danger ou obligation.
Pol : Interdiction, par exemple, ou obligation[2] etc. etc. Et donc… ou le jaune en France pour dire qu’il y a les travaux sur la route alors que dans d’autres pays, ça peut être le blanc, ça peut être une autre couleur. On… ce sont des couleurs complètement arbitraires, hein, on choisit ça… c’est le pays, la culture, qui choisit son… qui choisit sa couleur. D’accord. Donc, dans la sémiologie des… du code de la route, qui était déjà une sémiologie visuelle, on a un certain nombre de… comment… de paramètres et de phénomènes. Mais qui sont assez réduits malgré tout. Tu vois, c’est comme dans la sémiologie par exemple… on peut très bien travailler la sémiologie de la cartographie. Avec le bleu pour les mers ou les océans. Ou bien la sémiologie du… la sémiologie de la cartographie du métro. Telle ligne est en vert, telle ligne est en jaune, telle ligne est en orange, etc. Comment ça s’agence, est-ce que ça paraît correct ou est-ce qu’il y a des interprétations erronées[3] qui peuvent surgir. Voilà, il y a plein de choses comme ça.
Jessica : Et tout le monde comprend comme un langage en fait.
Pol : Oui, c’est ça. On considère que tout… que tout est langage. D’accord. Et… donc avec un petit peu sa grammaire et puis ses… et puis son lexique et puis peut-être un… un agencement de type syntaxique etc. Donc c’est… c’est vraiment comme… c’est vraiment comme une langue. Et dans la sémiologie de la photographie, je crois que c’est beaucoup plus complexe parce que… bah de toute façon, ça ne s’était… ça ne s’est pas beaucoup étudié… véritablement du point de vue sémiologique. Une des rares personnes à avoir étudié la sémiologie de la photographie, mais très très partiellement, c’était Roland Barthes.
Jessica : Ah oui, oui.
Pol : Voilà. Donc notamment dans… dans son ouvrage qui s’appelle la… La chambre claire. Mais ce n’est pas vraiment non plus un ouvrage[4] de sémiologie de la photographie en tant que telle. C’est… il n’a pas suffisam… enfin, il n’a pas… c‘était… c’était pas son but, il n’a pas vraiment conceptualisé les… la problématique de la sémiologie. Alors, quand j’ai repris mes études… donc ma prof de Sciences du Langage et de Sémiologie m’a dit il faut continuer, vous êtes… vous êtes photographe professionnel, vous avez des connaissances que peu de gens ont parce que ils ne… que peu d’étudiants de sémiologie ont parce qu’ils ne connaissent pas la pratique. Donc vous, vous connaissez bien la pratique, maintenant, il faut théoriser tout cela. Voilà.
Jessica : Ah c’était le chemin presque inverse en fait.
Pol : Oui, c’est ça. Oui, voilà. Et… alors comment théoriser cela, eh bien, ça n’est pas… ça n’est pas du tout évident parce que rien n’a été fait, ou pratiquement rien n’a été fait dans ce domaine. Donc il a fallu…
Jessica : Donc en fait, on t’a demandé de voir les images avec un autre œil ?
Pol : Oui, on m’a demandé d’inventer une sémiologie… ou une sémiotique de la photographie. Et donc j’ai fait ma thèse, j’ai écrit ma thèse là-dessus et ma thèse s’appelle « La photographique ». Alors j’ai pris le terme de photographique pour faire pendant au mot linguistique. Donc la linguistique, c’est l’étude des langues, la photographique, c’est l’étude des… de la photographie. Voilà. Donc c’est… « La photographique pour une sémiologie de la photographie ». Voilà le titre… le titre de ma thèse. Et… le… je me suis attaqué au problème de… de la typologie, d’une typologie possible de la photographie puisque comment… comment divise-t-on généralement la photographie ? Alors, on dit toujours, bon voilà, on a[5] des photographies d’objets, de nature morte par exemple. On a des photographies… on a des portraits, on a des nus, on a du paysage, on a de la photographie industrielle, on a… voilà. Mais tout cela, ça a à voir uniquement avec l’objet ou la personne que l’on prend. C’est-à-dire que ce n’est… ce n’est pas une typologie puisqu’elle est infinie.
Jessica : C’est presque un thème. C’est un thème.
Pol : C’est infini. C’est-à-dire, on pourrait dire… bah je suis, moi je suis spécialiste des oiseaux sur le troisième fil téléphonique, ou télégraphique… ou électrique de mon village par exemple. Bon voilà, ça pourrait être un thème, pourquoi pas. Mais c’est complètement infini. On pourrait dire la photographie, les portraits, bon bah il y a les adultes, il y a les vieillards, il y a les jeunes, il y a les bébés, etc. Est-ce qu’on peut aussi prendre une photo, un portrait d’une vache par exemple, pourquoi pas. Donc on ne peut pas avoir… on ne peut pas avoir une typologie infinie. Une typologie infinie, ce n’est plus une typologie. C’est simplement des pratiques. Voilà.
Jessica : D’accord. Ouais, ouais.
Pol : Et là il fallait théoriser. Et pour théoriser, bah ce n’était pas du tout simple parce que il ne fallait pas prendre en compte… l’objet ou le… j’utilise le mot objet même quand il s’agit de personnages, hein, parce que c’est un objet photographique… donc le… le problème, c’est de… d’occulter l’objet, de ne pas s’intéresser à l’objet mais de s’intéresser à la façon dont on prend cet objet.
Jessica : Donc tu parles un peu du cadrage, du sens qu’on veut donner.
Pol : Alors, ça peut être le cadrage, ça peut être donc toute une série de choix qu’a… qu’a le photographe. C’est-à-dire l’exposition, la… l’exposition dite normale, une surexposition, une sous-exposition… ça peut être un cadrage plutôt centripète ou centrifuge. Ça peut être une perspective… donc la gestion… la gestion des plans. Ça peut être la gestion de la vitesse… donc est-ce que cette photo… est-ce que telle photo est figée, je préfère dire plutôt qu’utiliser un autre mot. Est-ce qu’elle est figée ou est-ce qu’elle est filée ? C’est-à-dire est-ce qu’il y a une trace de mouvement.
Jessica : Ouais, ouais. Et tout ça, ça révèle les intentions… tout ça ça révèle les intentions du… du photographe et ce qu’il veut communiquer ?
Pol : Alors, oui, pas nécessair… pas les intentions, mais en tout cas, ça révèle la pratique. Je me méfie toujours des intentions parce que on…
Jessica : D’accord.
Pol : On n’est jamais dans… dans l’intention de l’auteur, vraiment. Même… je me méfie toujours quand un auteur me dit moi, j’ai voulu dire cela, je dis oui peut-être mais c’est quand même au lecteur de décider de… de la lecture de la photo ou de l’œuvre. C’est-à-dire, ce n’est pas simplement l’auteur qui décide. Une fois que… une fois que l’œuvre est dans le public, l’œuvre appartient au public.
Jessica : Hm hm. Hm hm. Très bien.
Pol : Tu vois. Et… donc… j’ai tenté de… de proposer une typologie à quatre… quatre cases. Cela… c’est un petit peu compliqué à expliquer comme cela… de vive voix, mais… c’est… c’est quelque chose qui… qui semble, enfin qui… qui m’aide moi, et je sais que… d’autres étudiants ou d’autres… d’autres photographes utilisent cette typologie. Ou d’autres sémiologues utilisent cette typologie. Je viens d’avoir un appel d’un… d’une étudiante albanaise qui est à l’école de… d’architecture de Marseille, qui… qui m’a demandé de lui communiquer ma thèse parce qu’elle voudrait étudier la typologie des photos d’architecture dans les magazines spécialisés. Voilà.
Jessica : Ça, en soi-même, c’est spécialisé aussi.
Pol : Oui, oui, oui, c’est très… ça peut être très très très spécialisé. Alors, ce qui est intéressant, c’est que les photographes… les photographes, pas nécessairement les professionnels, mais les professionnels surtout, mais les amateurs aussi qui… qui cherchent quelque chose d’un peu plus que des simples souvenirs dans la photo… quand ils… quand ils ont accès à cette typologie, ils se disent ah oui, oui, c’est… il y a pas de problème, on comprend très très bien. Voilà. Alors que… alors que certains sémiologues patentés, je devrais dire, certains profs d’université, et j’en ai eus lorsque j’ai… lorsque j’ai soutenu ma thèse, ils n’ont rien compris à ma thèse.
Jessica : Ouais, d’accord, ouais.
Pol : Parce que ils étaient uniquement dans le… ils étaient uniquement dans l’intellect.
Jessica : Bah eux ça leur parle pas… oui, au niveau artistique, ouais.
Pol : Ça leur parle pas[6]… ça leur parlait pas, ils ne savaient pas vraiment ce dont je parlais. Et il y a un des membres de mon jury qui… que j’ai vu six ans après ma… après ma soutenance, qui m’a dit : « Ah je commence à comprendre ce que vous vouliez dire ». J’ai dit : « Bah il est temps ». (rires)
Jessica : Ah oui, oui, effectivement. Alors, bah justement en parlant du temps, il va falloir qu’on… parce que là, on pourrait vraiment parler pendant des heures sur ce sujet avec grand plaisir…
Pol : Oh bah oui, bien sûr. Bien sûr.
PART 2
Jessica : Par contre, là je pense que on[7] peut pas… enfin pour les auditeurs, on va juste bouger un tout petit peu à la… à la deuxième… partie.
Pol : D’accord.
Jessica : Alors, rapidement… finalement, on va rester dans… un petit peu la linguistique puisque tu combines deux autres passions qui sont un petit peu les mots et la mer. Est-ce que tu pourrais nous parler de ça et me dire de quelle façon tu les as réunies ?
Pol : D’accord, ok. Donc je t’ai dit que… quand j’ai… que j’ai recommencé les études, que j’ai suivi donc des études de Sciences du Langage, donc ce qu’on appelle la linguistique en gros, mais Sciences du Langage c’est un petit peu plus… plus large je dirais. Bon. Mais ce n’est pas très grave. Bon, donc j’ai suivi des études de Sciences du Langage et… le… et lorsque j’ai fini ma thèse, j’ai… on m’a confié des cours à l’université. Des cours de Sciences du Langage à l’université. Et il fallait donc que je trouve des thèmes de travail avec mes étudiants, enfin que… sur… sur lesquels je ferai travailler mes étudiants. Et… alors, ma… mon autre passion, c’est la voile, c’est donc la mer. Je fais de la voile, autant que… autant que je peux en faire, pas assez souvent hélas, mais bon. Et un jour, j’étais avec des amis, on avait débarqué sur une île qui s’appelle l’île d’Yeu, c’est une petite île de l’Atlantique qui est absolument magnifique. Et en… en me promenant sur les dunes, sur le littoral, je me suis dit… c’était je crois au mois de… au mois de mai, donc à peu près à cette époque-ci, il y a une dizaine d’années… je me suis dit, il faut que je prépare un cours pour mes étudiants de telle année, etc. Et j’aimerais bien… donc ça m’est venu à l’esprit tout d’un coup comme ça en regardant la mer, et les bateaux qui étaient… qui étaient tout proches. Je me suis dit, pourquoi ne pas prendre les… pourquoi ne pas travailler sur les métaphores marines, c’est-à-dire tous les termes que l’on trouve dans le vocabulaire courant, le lexique courant mais qui viennent du… qui viennent du monde marin.
Jessica : Oui. Alors, on n’a pas conscience[8], on connaît pas l’origine première.
Pol : Alors, évidemment on n’a jamais conscience de la façon dont on parle. Enfin, on a très peu conscience de la façon dont on parle. Et je me suis dit bon bah, si on arrive… si j’arrive à trouver une cinquantaine d’expressions marines ou d’origine marine que l’on utilise relativement fréquemment, bah je peux bâtir un cours sur l’utilisation des métaphores, leur histoire, leur cheminement, etc. Et pour le soir-même, en fait j’avais… j’avais commencé à noter dans un petit carnet les expressions que je trouvais et pour le… pour le soir, j’en avais déjà une centaine.
Jessica : Oh ! Ouah !
Pol : Voilà, voilà. Alors, un exemple, hein, parce que c’est toujours… ça… ça éclaire mieux les choses.
Jessica : Ah et puis avec plaisir oui !
Pol : Un exemple, c’est le verbe arriver.
Jessica : Oui.
Pol : Arriver, ça veut dire aller à la rive. Voilà.
Jessica : Ah ! Ah oui ! Ah ça fait tilt maintenant[9].
Pol : Bah oui. Et c’est le contraire de dériver. Dériver, c’est… c’est quitter la rive. D’accord. Bon, sur la rive, on a… il a des résidents qui habitent là…
Jessica : Oui.
Pol : Et qu’on appelle les riverains.
Jessica : Ah les riverains, ah !
Pol : Voilà, les riverains, voilà un autre mot qui vient de la mer et qui… qu’on utilise couramment. Même quand il n’y a pas de rive, c’est-à-dire… j’habite dans une rue à Angers, une petite rue à Angers, qui est interdite à la circulation sauf aux riverains.
Jessica : Sauf riverains. Hm hm. C’est-à-dire les gens qui habitent ici en fait, dans cette rue.
Pol : Qui habitent… dans le lieu… dans un lieu précis, voilà. Dans cette… dans cette rue-là. Alors les riverains évidemment… les riverains qui habitent près de l’eau, ben ils ont toujours des problèmes parce qu’il y a des lois sur l’eau, il y a des habitudes, il y a des conventions etc. Qui a le droit de pêcher, qui a le droit de prendre l’eau de la rivière pour irriguer les champs etc. Donc les riverains, ils sont toujours en rivalité.
Jessica : Aaah ! Ouais, ouais.
Pol : Et donc ce sont des rivaux. Les riverains sont rivaux.
Jessica : Ah ! Je vois, oui, oui, oui.
Pol : C’est un exemple.
Jessica : Et donc ça, c’est passé dans la langue anglaise après parce que… rivaux, c’est le pluriel de rival, rival.
Pol : Oui, pour certains d’entre eux. Oui, c’est ça, oui voilà. Et… alors que riverains n’est pas passé en anglais.
Jessica : Comment… comment on traduirait ça… ?
Pol : Des riverains ? Locals, residents. Je crois.
Jessica : Ouais, ouais.
Pol : Quelque chose comme ça. Je pense.
Jessica : Oui, donc c’est pas du tout la même image.
Pol : Non, on n’a pas la même… on n’a pas du tout la même… la… la même image. Et alors que arrive, oui ça… ça marche.
Jessica : Et la rive, c’est the bank of the river.
Pol : Oui, the bank, oui, oui. Voilà.
Jessica : Ah c’est fascinant, oui j’avais aucune idée… pourtant, c’est vraiment quelque chose que j’aime beaucoup. Dans mon autre podcast, qui s’appelle FrenchYourWay Podcast, j’explique souvent l’origine des mots…
Pol : Oui, j’en ai entendu parler.
Jessica : Mais là j’avais jamais fait la… la connexion ou le rapprochement entre les mots que tu présentes et… et l’origine…
Pol : Oui, bah oui, parce que on ne voit pas en fait l’importance… l’importance de l’histoire et de la mer et des marins, des mariniers. Les mariniers, c’est les marins qui sont sur les fleuves. D’accord. Pour faire la différence.
Jessica : D’accord, d’accord.
Pol : Donc on ne… on ne voit pas ça. Mais quand on dit, par exemple ce matin, une expression que tout le monde utilise, toi aussi sans doute, et moi parfois : « Ce matin, j’ai eu du… j’ai eu du mal à démarrer ».
Jessica : Hm hm. Oui.
Pol : Alors on pense démarrer la voiture.
Jessica : Ah ! Exactement, et ça vient des amarres.
Pol : Bah bien sûr ! C’est… c’est… démarrer, c’est ôter les amarres.
Jessica : Hm hm.
Pol : Voilà. Donc… eh ben toutes ces expressions-là, il y en a des centaines. Donc j’ai… j’ai écrit un premier ouvrage pour lequel j’ai trouvé un éditeur tout de suite parce que c’était la première fois que ça se faisait en France, ou en français. Il y en avait en anglais mais pas en français, d’accord. Et donc… il a bousculé son planning pour mettre mon dictionnaire dans sa… dans la collection de l’année… de l’année qui venait. Et ça s’est appelé « Le dictionnaire des mots nés de la mer ». D’accord.
Jessica : Oui, donc voilà d’un petit projet, t’as… t’as fini par écrire un dictionnaire…
Pol : Bah oui, parce que… oui, c’est ça, j’ai écrit un dictionnaire de 300 (trois cents) et quelques[10] pages. Et ils m’ont dit… l’éditeur m’a dit ben on te donne jusqu’au 21 novembre pour le finir, donc j’ai écrit ça très rapidement. Mais j’avais déjà tous les… j’avais déjà travaillé dessus. Donc… ça… c’est allé très très vite. Et puis j’avais des lectures, quoi, là-dessus, j’avais déjà des… pas mal de renseignements, donc c’est allé assez vite. Mais j’ai continué en fait, et quand j’ai remis… comme on dit, quand j’ai remis ma copie, le 21 novembre ou quelque chose comme ça, en fait j’ai dit à mon éditeur : « Écoutez, si ça marche, j’ai encore autant de mots, donc on peut faire un dictionnaire de 700 pages ».
Jessica : Le double !
Pol : Voilà le double.
Jessica : Eh oui. Donc ça c’est le nouveau dictionnaire.
Pol : Et ça c’est « Le nouveau dictionnaire des mots nés de la mer ». Voilà.
Jessica : Mais alors… oui vas-y !
Pol : Non mais… comme c’était le premier dictionnaire de ce genre, ça a plutôt bien marché… et il a reçu plusieurs prix… dont le prix de… le prix de l’Académie de Marine, etc. Donc c’est.. c’était vraiment passionnant.
Jessica : Mais alors, ces… ces mots-là, ils viennent de ton propre brainstorming ou tu as dû quand même…
Pol : Ah bah non, parce que j’ai lu… j’ai lu énormément pendant cette époque-là, de… de livres sur la mer. Alors comme je faisais du bateau, c’est… comme je fais de la voile, c’est aussi plus intéressant… enfin plus… c’était plus facile pour moi parce que j’étais déjà très… très conscient de tous ces mots.
Jessica : Oui, mais on fait pas toujours le rapprochement.
Pol : Non, je faisais pas le rapprochement. Mais quand j’ai… quand j’ai commencé à faire les rapprochements, dès que je lisais… dès que le lisais les journaux, un quotidien par exemple, sur papier ou sur internet, je notais tout de suite les mots dont je savais qu’ils venaient du… du monde maritime. Voilà. Et certains je ne savais pas mais je me… je vérifiais. Donc par exemple une équipe… une équipe, c’est vraiment un mot qui vient de la mer.
Jessica : Alors, je connais l’équipage… l’équipage.
Pol : Oui équipage… Mais équipe aussi. Parce que équi… on dit équiper un bateau.
Jessica : Ah oui ! D’accord. Donc c’est-à-dire trouver tout le personnel pour aller… pour partir en mer en fait. D’accord.
Pol : Oui, voilà. Et puis aussi tous les… tous les accessoires, etc. Pour… pour qu’un bateau soit bien… soit bien équipé. Donc avec l’équipage évidemment. Mais… et d’ailleurs, ça a donné un… ça a donné un mot en anglais, puisque c’est un mot qui vient du néerlandais… ça a donné le mot skipper. Équipe et skip, skipper, c’est la même chose.
Jessica : Ah ! Ouah ! Oui, oui, oui. Et tu as raison parce que…
Pol : Le skipper, c’est le chef d’équipe. C’est le chef d’équipe.
Jessica : Ouais, ouais, ouais. Parce que j’enseigne souvent à mes débutants que quand on voit un… c’est juste un petit truc pour les aider… quand on voit un… un mot français qui commence avec E accent aigu, on peut essayer de remplacer le… ce E accent aigu par un S. Donc par exemple, école, school, ou épice, spice.
Pol : Ou alors le E accent aigu suivi d’un [k] généralement.
Jessica : Suivi d’un [k], ah oui. Oui parce que écran…
Pol : D’un K ou d’un Q. Oui. Skip, skipper. Oui, voilà, école, school. Oui, oui. Voilà. Mais c’est pas toujours le cas mais bon… ça… ça fonctionne parfois, de fait.
Jessica : Bon après il y a… ouais, épice, spice ou…
Pol : Oui, oui, par exemple aussi tu as… il y a plein d’autres mots comme ça. Oui. Bien sûr.
Jessica : Ah oui.
Pol : Voilà, donc… bah il y a… là, dans… dans mon nouveau dictionnaire, il y a plus de mille entrées principales.
Jessica : Oui, c’est un travail énorme de recherche que tu as dû faire.
Pol : Oui, mais alors c’est… ce qui est intéressant, c’est que… quand je… quand je te disais tout à l’heure qu’on est jamais dans la tête d’un auteur, on ne sait jamais ce qu’il veut faire… J’ai… j’ai une vieille maison du XVème siècle à côté de Saumur donc dans le Val de Loire, et… on a décidé de la vendre, parce qu’on n’a pas besoin de deux maisons. Voilà. Et donc il a fallu que je déménage tout ce que j’avais dedans, c’est-à-dire tous les vieux papiers etc. puisque je n’habitais plus dans cette maison. Et j’ai retrouvé au fond d’un tiroir un classeur avec des fiches, puisque c’était avant l’informatique. Un classeur dans lequel j’avais des fiches sur lesquelles j’avais noté déjà des expressions de la mer.
Jessica : À l’époque ?
Pol : Et c’était… c’était daté d’il y a 35 ans.
Jessica : Oh !
Pol : Et j’avais complètement, complètement oublié cela. C’est-à-dire que je pense que mon cerveau a travaillé là-dessus pendant 35 ans inconsciemment… sans que j’en… sans que moi j’en sois conscient en tout cas.
Jessica : Oui, c’est quelque chose que t’as toujours voulu faire quelque part en fait. Oui, oui.
Pol : Voilà, voilà. Oui, oui. C’est ça. Et ça, c’est… c’est assez extraordinaire quoi. C’est assez extraordinaire. Et je… alors, pour revenir… comme quoi le… le monde est… est… ou il n’y a pas de hasard, je ne sais pas. Je te parlais au début[11] de ce… de cet auteur qui a écrit le dictionnaire trilingue… le premier dictionnaire trilingue, d’accord, breton, latin, français.
Jessica : Oui, oui, oui.
Pol : Et je me souviens que quand j’avais 8 ou 9 ans, il y a mon père qui m’a pris dans ses bras, ce qui était assez rare à l’époque, c’était un signe d’affection énorme. Et il… on est allé à l’arrière à l’arrière de la maison, et il m’a montré un manoir, qui se trouvait à un kilomètre de… de la maison. Et il me dit : « Tu vois dans ce manoir, est né quelqu’un qui a écrit un dictionnaire et c’était le premier dictionnaire trilingue ». Donc il m’a expliqué un petit peu ce que ça voulait dire. Et… je suis sûr… je suis certain maintenant que ce jour-là, je me suis dit, un jour, moi aussi, j’écrirai un dictionnaire et mon père sera fier de moi.
Jessica : Ah ! Ouais. Ah bah là, il peut avec un dictionnaire de 720 pages.
Pol : Oui… bah oui, mais il est mort avant. Il a pas… il m’a pas vu… il l’a jamais vu fini. Ce qui est très dommage. Ouais.
Jessica : Ouais, ouais. Mais bon tu… tu l’as fait et…
Pol : Oui, je l’ai fait ! Voilà.
Jessica : Ah super !
Pol : Tu vois, comme quoi les… les choses reviennent. Oui, oui.
Jessica : Ah oui, très beau. Bah justement, je crois qu’on va en profiter pour boucler… ce… ce double[12] épisode ici, qui a été plein d’histoires fabuleuses et puis de… de mots intéressants, une… une belle anecdote pour… pour finir également. Moi je pourrais continuer la conversation pendant des heures, mais pour French Voices, on va l’arrêter… on va l’arrêter là.
Pol : D’accord.
Jessica : Je te remercie mais vraiment du fond du cœur pour ta générosité, je parle de la générosité de… de ton temps entre autres, parce que ça fait un bout de temps qu’on est en ligne tous les deux… ouais on a eu des problèmes… on a eu des problèmes de connexion, on a parlé… ça a pris son temps.
Pol : Oui, c’est pas un problème.
Jessica : Formidable, formidable ! Mais tu es bienvenu pour… pour revenir parler plus avant de la mer et puis de tes… on a abordé, quoi, deux ou trois de tes vies, tu as dit que tu en avais sept, donc si tu veux revenir un jour, il y a pas de… il y a pas de souci !
Pol : D’accord, ok. Avec plaisir. D’accord.
Jessica : Je te remercie beaucoup Pol.
Pol : Ok, merci Jessica et bonjour à tous les auditeurs.
Jessica : Merci beaucoup !
Pol : Et comme on dit quand on aime…quand on aime la mer : « Bon vent ! »
Jessica : Bon vent ! Que je prenais très mal au début, parce que je pensais que c’était un synonyme de : « Bon débarras ».
Pol : Ah, ça peut ! Ça peut l’être.
Jessica : Ça peut l’être. C’est un peu à double sens.
Pol : C’est un peu à double sens. Mais là c’est… là c’est vraiment, je vous souhaite un… un vent… alors il y a un terme qu’on ut… qu’on utilise en mer… qu’on utilisait, on l’utilise plus, c’est dommage. C’est : « un vent opportun ».
Jessica : Oui, c’est-à-dire ?
Pol : Et un vent opportun, c’est un vent qui te pousse vers le port.
Jessica : Aaah, en voilà encore une ! Ouais, ouais.
Pol : Alors qu’un vent importun, c’est un vent qui te pousse vers le large. Et voilà !
Jessica : Et importuner ?
Pol : Importuner, voilà, c’est…
Jessica : Importuner, c’est déranger ?
Pol : Oui, oui, c’est pas très bon. Voilà.
Jessica : Oui. Mais alors quand… tu vois… quand tu as expliqué que les Français, quand ils se disent au revoir et continuent la conversation[13]… là on est repartis hein !
Pol : Eh ben voilà, ben on va s’arrêter… voilà on est repartis ! Allez, on va se quitter pour de bon.
Jessica : On se dit bon vent, mais celui qui est gentil.
Pol : Voilà, voilà. Et à la prochaine fois !
Jessica : À la prochaine fois !
Pol : À la prochaine escale ! Ok, au revoir Jessica !
Jessica : Au revoir !