Real Life Stories around the Beginning of Railway in Epernay
PART 1
Jessica : Françoise Graux, bonjour !
Françoise : Bonjour !
Jessica : Alors, si je ne me trompe pas, vous, vous êtes fille, petite-fille[1] et arrière petite-fille de cheminot, c’est ça ?
Françoise : Et même arrière-arrière-petite-fille vaguement de cheminot, oui. Je suis vraiment d’une famille totalement cheminote.
Jessica : Alors, qu’est-ce que c’est cheminot exactement ? Vous pouvez définir ?
Françoise : Alors, le mot cheminot, bah c’est un mot qui… alors, il y a deux mots « cheminot » en français. Le mien, il s’écrit -OT à la fin. Ce sont les personnes qui ont travaillé dans les chemins de fer. Donc c’est un mot qui est apparu en même temps que le chemin de fer, vers 1850.
Jessica : Alors l’autre orthographe de cheminot, je suppose que ça serait -EAU, non ?
Françoise : Voilà, ce serait…
Jessica : Mais qu’est-ce que c’est ?
Françoise : Celui qui irait sur les chemins, à droite à gauche, un peu comme un bohémien. Quelqu’un qui n’aurait pas de métier, voilà.
Jessica : Ah bon ! Ah bah je connaissais pas.
Françoise : Donc quelquefois… voilà, quelquefois, il y a des fautes d’orthographe, mais maintenant à l’oral, ça passe, on ne s’en aperçoit pas.
Jessica : Oui, voilà, c’est la même prononciation, d’accord. Alors, vous, donc vos ancêtres, quatre générations travaillaient dans le… dans le chemin de fer donc dans la région… sur Épernay, en fait. En Champagne.
Françoise : Sur Épernay, oui. Tout à fait, oui, oui.
Jessica : Alors, ils faisaient… ils occupaient quels… quels postes ?
Françoise : Alors, selon… selon les individus, ça a été variable. On va commencer par le plus ancien… qui de formation était menuisier, à une époque où il y avait encore, et au début, des wagons avec du bois. Donc quand les ouv… quand les… pardon, quand les ateliers du chemin de fer de la Compagnie de l’Est ont ouvert à Épernay, il a réussi à se faire embaucher en tant que menuisier, mais au chemin de fer pour travailler… essentiellement à la réparation, l’entretien des… des wagons en bois à l’époque.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Ça c’est l’ancêtre. C’est le premier. Ensuite, sur plusieurs générations, ça a été des ouvriers travaillant le métal. Dans la fabrication ou la réparation des locomotives puisque les ateliers du chemin de fer d’Épernay avaient, à l’époque, une réputation qui dépassait largement les frontières, pour la fabrication de ces extraordinaires moyens de locomotion, qui étaient des locomotives apparues donc vers 1800, quelque chose comme ça.
Jessica : Donc elles étaient fabriquées[2] sur place à Épernay ?
Françoise : Elles étaient fabriquées sur place.
Jessica : Hm hm. Et donc il y a une évolution dans le matériau, donc du bois au fer.
Françoise : Ah voilà.
Jessica : Ouais…
Françoise : Donc le bois, c’était… c’était quand même assez annexe au départ bien sûr.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Les structures ne pouvaient pas être en bois, ça aurait été trop fragile. Mais petit à petit, effectivement, on est passé à du matériel à base de… de métal bien sûr. Donc les locomotives sont… sont devenues des locomotives entièrement métalliques. Et voilà. C’était la grande spécialité d’ouvriers spécialisés, reconnus pour leur savoir-faire exceptionnel. Et qui étaient formés[3] sur place. Les ateliers étaient à la fois un centre de formation des futurs ouvriers qui fabriquaient les fameuses locomotives.
Jessica : Hm hm. D’accord. Et alors… et votre père, c’était la même chose ? Parce que je crois qu’on a fait deux générations là… ouais.
Françoise : Alors, voilà. Mon père… alors son titre, c’était tourneur, ajusteur sur métaux. Donc tourneur. Un appareil qui permettait de faire des pièces qui… je ne saurais pas très techniquement vous l’expliquer…
Jessica : Hm hm.
Françoise : Mais des pièces arrondies[4] dont il fallait li…
Jessica : Rondes, hm hm.
Françoise : Limer les bords, quelque chose comme ça. Et ajusteur puisque après, il fallait que ce soit juste ce qu’il fallait pour correspondre aux locomotives. C’était son titre officiel de ouvrier, tourneur, ajusteur sur métaux.
Jessica : D’accord. Donc quatre hommes de la famille qui ont travaillé, qui ont vu les… le début du… du chemin de fer, en fait .
Françoise : Voilà, oui.
PART 2
Jessica : Alors, donc nous on a fait la visite ensemble il y a… il y a pas longtemps. Donc suite au… donc ça s’appelle comment ? Le… le service des… des greeters qui… qui est en train de décoller[5] en France. Vous êtes donc bénévole et vous faites visiter… vous faites une petite visite d’Épernay, qui s’appelle : « Histoire de… de cheminots ». Et tout de suite, on a été mis en contexte, donc la plongée dans l’Histoire[6] a été immédiate parce qu’on a commencé la visite en attendant dans le hall de la gare. Est-ce que vous pourriez expliquer ce qu’on attendait ?
Françoise : Ah bah, autant commencer par le début. Et nous attendions le président de la République de l’époque, qui avait comme titre prince-président puisque c’était en… on est en 1849. Et le prince-président de l’époque était le neveu du fameux Napoléon Ier, qui… qui a été connu comme envahisseur de… de l’Europe à l’époque. Donc quelques décennies plus tard, son neveu Louis-Napoléon est devenu président de la République, donc il prenait le titre de prince-président. Et en août 1849, il venait inaugurer non pas ce qui s’appelait la gare, mais ce qu’on appelait à l’époque l’embarcadère du chemin de fer. « Embarcadère » étant un mot qu’on avait emprunté, parce qu’on en n’avait pas de nouveau…
Jessica : Oui. Oui, c’est vrai.
Françoise : Un mot qu’on avait emprunté au vocabulaire des… des marins, des bords de mer.
Jessica : Des bateaux.
Françoise : Donc il venait inaugurer l’embarcadère du chemin de fer qui, depuis Paris, arrivait jusqu’à Épernay en août 1849.
Jessica : Mais on a attendu longtemps pour rien.
Françoise : Eh oui. Alors, on en a profité pour parler un petit peu donc… de nos ancêtres et de différentes choses. Eh oui, parce qu’au dernier moment, nous avons été prévenus qu’il était indisposé, qu’il allait falloir l’attendre jusqu’au mois de septembre. Alors là, on a renoncé et puis nous sommes allés nous promener dans Épernay !
Jessica : Voilà. Mais c’était une belle petite anecdote pour commencer, donc cette plongée dans l’Histoire. Alors, déjà pourquoi une gare à Épernay ? Originellement, est-ce que vous savez ?
Françoise : Alors, l’idée, c’était d’avoir… une ligne de… des chemins de fer qui partait de Paris jusqu’à Strasbourg. Alors au départ, c’était pas pour faire du tourisme européen, hein. Le grand projet, c’était surtout d’avoir le chemin de fer… un chemin de fer, qui grâce à ce moyen technique, rapide, moderne, aurait permis, éventuellement, de transporter des… des troupes jusqu’à la frontière française, à la limite de ce qui était à l’époque nos grands ennemis : les Allemands, de l’autre côté du Rhin, à Strasbourg. C’était le…
Jessica : Ah, mais c’était pour des raisons militaires ?
Françoise : Bah disons que… si l’État français soutenait fortement ce projet, c’était… on était encore dans une époque très… très militarisée, très revancharde etc. C’était une des motivations de l’État français pour faire créer ce chemin de fer. Mais en même temps, bon, il apparaissait partout le… à partir de… de Paris, il y avait une espèce de toile d’araignée qui se construisait avec des chemins de fer un petit peu partout, ou dans tous les sens en France. Mais c’était une des grandes motivations ce fameux chemin de fer. Donc la ligne a été commencé à Paris, vers Strasbourg.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Et à l’autre bout, on a commencé aussi de Strasbourg vers Paris. Et au fur et à mesure…
Jessica : Ah oui ! Hm hm.
Françoise : Voilà. Et au fur et à mesure que la… la voie ferrée s’installait, il fallait, sur place… là où on était en tête, c’est un petit peu comme la conquête du Far West, vous savez, on voyait ces… ces gares avancer petit à petit.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Il fallait un… un atelier sur place, là où les travaux étaient en cours. Donc le premier embryon d’atelier à Épernay a été fait à partir de… de ça. Et puis après…
Jessica : Oui, c’est ça, on n’avançait pas d’un point A vers un point B, en fait, on partait des deux extrémités, on construisait le… le chemin de fer jusqu’à ce que les deux voies se rencontrent au milieu en fait.
Françoise : Voilà, en gros, c’était… voilà, c’était le projet donc… il y avait, d’une part, des ateliers importants sur Paris, évidemment. Sur la base de départ. D’autre part, à l’autre bout, il y avait du côté de… Metz, exactement, à Montigny-lès-Metz[7]… du côté de… des Vosges[8], un autre grand atelier. Et petit à petit, les deux… les deux zones se rapprochaient. Mais il y a eu des événements qui ont… poussé à… à avoir quelque chose d’important entre les deux. C’était d’une part à Paris, les ouvriers parisiens étant très… très… comment je vous dirais… très revanchards, très… réclamant des conditions de travail excellentes etc., se mêlaient un petit peu trop d’être en révolte sur Paris. Donc au lieu d’agrandir Paris, la Compagnie des chemins de fer de l’Est, avec la bénédiction de l’État français, a préféré développer quelque chose en province.
Jessica : A envoyé un peu les gêneurs en province. D’accord, ouais.
Françoise : Voilà. Voilà, voilà. Ils avaient des promotions mais ça les éloignait de la capitale. Donc c’était… ça a été une des raisons. Et puis, on en revient à notre fameux prince Louis-Napoléon, dont le… le règne a fini en 1870 avec la guerre qui a opposé à l’Allemagne. À ce moment-là, dans cette guerre, la France a perdu, l’Allemagne a gagné. Et l’Allemagne a annexé toute la zone d’Alsace-Lorraine où se trouvaient les ateliers de Montigny-lès-Metz.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Donc évidemment, les machines, les bâtiments, il y a pas pu les rapatrier, mais il fallait reconstruire nos locomotives ailleurs.
Jessica : Ah d’accord.
Françoise : Et finalement, bon ça s’est trouvé… Épernay avait déjà un embryon d’atelier et… ça a été le grand point de départ… départ des ateliers d’Épernay.
Jessica : Hm. Alors quelque chose qui m’avait particulièrement intéressée dans la visite, c’était que… bien sûr, on a parlé du… du rail, du chemin de fer. Mais ce rail a eu une grande influence sur… le développement, enfin l’aménagement urbain, et ça, j’aurais pas soupçonné. Vous avez parlé du… du cours de la Marne[9] qui avait été dévié, peut-être qu’on pourra en reparler. Donc la Marne, c’est la rivière qui… qui coule à Épernay. Et puis… oui, donc la… la disposition de la ville, les quartiers, et même les mentalités… tout ça en fait, c’est une conséquence directe du développement du chemin de fer. Est-ce que vous pourriez donner quelques exemples comme ça ?
Françoise : Oui, alors, bah on va… on va parler d’appellation qu’Épernay avait à l’époque, on avait un peu tendance à l’appeler « la Belle Endormie ». Mais l’endormie, elle s’est réveillée quand nos fameux ouvriers parisiens sont arrivés. Et ils ont pas seulement apporté leur savoir-faire pour les ateliers du chemin de fer, ils ont aussi apporté leurs habitudes parisiennes de guinguette, de bal du samedi soir, de… de sociétés sportives, de… qu’est-ce qui pouvait y avoir encore ? Des… des orchestres associatifs etc. Et d’un seul coup, la mentalité sparnacienne[10] a changé. D’autant que c’était des jeunes hommes, célibataires qui arrivaient sur Épernay et qu’il devait y avoir là de belles Champenoises[11] qui n’étaient pas mariées non plus. Donc il y a eu toute une mentalité différente qui s’est installée, en grande partie à ce niveau-là. Et puis va falloir loger tous ces gens-là. Donc, il va y avoir tout un quartier nouveau qui va se construire, sur la rive droite de la Marne. Et quartier qui est vraiment différent de… du reste d’Épernay, qui était peuplé de grosses maisons… enfin, pas uniquement mais… où il y avait des grosses maisons bourgeoises, de gros négociants avec des noms de Champenois qui sont connus un peu dans le monde entier… comme Moët…
Jessica : Des maisons de Champagne, ouais.
Françoise : Voilà. De… le champagne Moët & Chandon, le champagne Mercier. Donc là il y avait toute une population qui avait une… une culture et un fonctionnement très bourgeois. Et d’un seul coup, tout une autre population, puisqu’on a quand même eu jusqu’à 1800 (mille huit cents) ouvriers, même plus, aux ateliers. Toute une population très différente, et logée sur la rive droite de la Marne, dans des habitations beaucoup plus modestes. Et il y a eu vraiment tout un quartier qui a… on peut pas dire équilibré parce que il y a… on peut… on va pas parler d’opposition entre les deux zones, mais qui a changé la mentalité et le fonctionnement, et l’aspect urbain de la ville.
Jessica : Oui, c’était assez flagrant sur une photo d’une vue arienne/aérienne que vous avez montrée[12]. Donc les quartiers ouvriers, donc des petites maisons très rapprochées, ces petites rues et tout ça. Et puis on voyait clairement les… les quartiers résidentiels des propriétaires de maisons de Champagne, où là, c’était beaucoup plus aéré parce qu’ils avaient des grands jardins… donc, sur la carte, en fait, on le voit très très bien, ouais.
PART 3
Jessica : Également, alors je vais passer un petit peu sur l’aspect historique pour qu’on ait[13] le temps de… d’aborder quelques petites anecdotes… personnelles, des souvenirs d’enfance qui sont assez… assez savoureux et qui donnent beaucoup de… de cachet à… à votre histoire. On est passé devant… alors, c’était plus qu’un mur, je crois, vous avez dit que c’était un ancien supermarché où… enfin, un supermarché spécial pour les… les cheminots. Vous voyez de quoi je veux parler ?
Françoise : Voilà. Alors, bah, on revient un tout petit peu à nos fameux ouvriers parisiens. Ils sont arrivés avec une culture de solidarité ouvrière et ils ont… ils ont assez rapidement, surtout une fois qu’il y a eu un petit peu des familles qui se sont structurées autour de leur… autour d’eux. Ils ont mis en place une coopérative, ils achetaient directement… à l’époque, tout était en vrac donc on allait acheter aussi bien des haricots secs que de l’huile dans des bouteilles qu’on apportait nous-mêmes.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Ils ont installé toute une coopérative qui se fournissait directement… on revient un petit peu à notre époque, à ce type de… de commerce… donc le prix de revient était plus bas. En plus, avec ce système un peu solidari/solidaire, il y avait possibilité de payer qu’à la fin du mois, quand la… la paye arrivait chez les ouvriers.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Et donc il y avait là ce qu’on appelait l’Économa… Économa, économique, on voit tout de suite… l’esprit. Et les ouvriers cheminots…
Jessica : C’était le nom du supermarché ? L’Économa ?
Françoise : Voilà, enfin oui.
Jessica : Enfin de la coopérative.
Françoise : Voilà, c’est amusant que vous disiez supermarché parce que c’était un grand comptoir avec des… des dames derrière qui… qui vendaient. Ça n’avait rien d’un… d’un supermarché mais… oui, c’était notre fournisseur[14], je dis notre, parce que moi-même j’y suis allée, chercher différents produits et… et donc ça n’a pas plu du tout d’ailleurs aux autres commerçants d’Épernay, qui d’un seul coup, avec cette population importante, ont senti quelques clients et même d’assez nombreux clients leur échapper. Et puis en plus, mais alors ça, il faut pas le répéter, hein, surtout…
Jessica : Ouais, c’est un petit secret qui sera juste partagé… oui.
Françoise : Voilà, comme c’est limité/euh pas limité, les ouvriers avaient tendance, enfin ou… leurs femmes plutôt… avaient peut-être tendance à acheter un petit peu ces produits-là et puis à les revendre à des… des dames qui n’étaient pas femmes de cheminots.
Jessica : Ça faisait un petit trafic.
Françoise : Il y avait quand même un petit trafic (rires)… un petit trafic qui s’installait autour de ça. Et quand on… lit des documents d’archives sur Épernay, on trouve des pétitions, des commerces… des autres commerçants d’Épernay contre ces Économas qui vont les ruiner si on les laisse faire.
Jessica : Ouais. C’était un petit peu du… on peut dire du marché noir en fait ?
Françoise : Oui, oui, oui. C’était un peu cet esprit-là. Et c’était peut-être même carrément, on aurait pu peut-être appeler ça carrément du marché noir dans la mesure où il y avait entre autres le charbon. Le fameux charbon…
Jessica : Ah oui !
Françoise : Qui desservait aussi les locomotives. Et le ravitaillement en charbon était bien plus intéressant à partir de là qu’à partir des autres commerçants d’Épernay. Bien sûr, eh oui, il y avait un petit peu de trafic de charbon. Donc de marché noir, si vous voulez.
Jessica : Et vous aviez évoqué le… un jour où votre père avait rapporté beaucoup de poissons. Alors, il les… il ne les avait pas achetés à l’Économa…
Françoise : Aah, non, ah non.
Jessica : Il n’était pas parti pêcher comme vous pensiez.
Françoise : Alors, ce jour-là, mon père est rentré à la maison avec du poisson frais, du poisson de rivière, du poisson de Marne. Oh ! Et moi je me suis dit : « Oh là là, il est pas allé travailler, quelle honte ! ». Et ben non ! Le poisson, il venait des grands réservoirs… locomotives à vapeur, à l’époque, et aussi dans les ateliers, besoin d’énormément d’eau, en particulier à l’atelier de la chaudronnerie.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Et donc, il y a d’énormes réservoirs d’eau, genre châteaux d’eau, qui de temps en temps, avaient besoin d’être vidés en entier. Et comme les… réservoirs au départ, ils avaient été remplis avec l’eau de la Marne, bah ils étaient devenus un espèce[15] de… d’aquarium qui était un… un squat pour les poissons de la Marne…
Jessica : De vivier à poissons.
Françoise : Et ce jour-là, les ouvriers sont repartis avec du poisson frais.
Jessica : Ouais. Ça c’est un souvenir qui vous a… qui vous a marqué. C’est amusant quand même.
Françoise : Ah bah oui, oui, oui. Et tout souvenir comme ça, d’enfant, bien sûr, oui.
Jessica : Alors, les locomotives à vapeur, vous savez si on peut toujours en voir dans la région ou… ou alors quand est-ce qu’elles ont disparu ?
Françoise : Alors, au niveau de leur fonctionnement, elles ont totalement disparu, elles ont été ensuite remplacées par des locomotives diesel. Et puis après, bon la traction électrique est apparue bien sûr donc… en même temps, ça s’est trouvé être un petit peu la cause du déclin des ateliers. C’étaient d’autres savoir-faire[16] qui se sont développés ailleurs.
Jessica : Hm hm.
Françoise : Pour en voir maintenant, il faut aller à Mulhouse où il y a un extraordinaire musée de la locomotive et du rail, on peut dire comme ça.
Jessica : Donc en Alsace ? C’est en Alsace, Mulhouse ? Ouais.
Françoise : Voilà, voilà, c’est ça.
Jessica : D’accord.
Françoise : Et puis… donc effectivement, nos… nos ateliers qui sont maintenant pratiquement inutilisés, est-ce qu’on pourra en faire un petit musée ? Mais c’est pas la peine de doubler Mulhouse. Mulhouse est déjà tellement bien intéressant. Et puis bah oui, il y a quelques petites locomotives à droite à gauche comme ça… qui racontent à elles seules le souvenir de… de nos parents ou grands-parents. Oui, oui. Il y en a…
Jessica : Hm hm.
Françoise : Mais c’est essentiellement ce grand musée de Mulhouse. Je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller mais tout le monde dit que c’est quelque chose d’extraordinaire, c’est vraiment toute une mémoire de… bientôt deux siècles qui est là.
Jessica : Ah oui, oui, oui. Deux siècles de chemins de fer. Le statut social du… du cheminot ? Est-ce que donc on gagnait bien sa vie en tant que cheminot ou est-ce que c’était assez… assez précaire ?
Françoise : Alors, il y avait surtout la garantie de l’emploi. Ça, c’était important.
Jessica : Hm hm.
Françoise : On rentrait au chemin de fer et on était sûr de travailler et d’être payé jusqu’à l’âge de 55 ans. La retraite était… était relativement tôt. Donc ça…
Jessica : Et l’espérance de vie était plus courte aussi.
Françoise : Oui, probablement. Par rapport à des… des métiers beaucoup plus durs. Donc, il y avait cet avantage-là. Il y avait… peut-être pas de la totale volonté des patrons, mais de l’organisation des ouvriers, toute une… toute une existence qui effectivement était peut-être meilleure que pour bien d’autres. D’abord, on était logés assez souvent dans des… maisons qui n’avaient peut-être pas encore tout le confort de notre XXIème siècle, mais des maisons neuves donc correctes, saines etc.
Jessica : Hm hm. Hm hm.
Françoise : Et puis, il y avait toutes ces organisations autour de… de ces structures de… d’ouvriers qui étaient la… la société de natation, la société de gymnastique. Il y avait aussi la… je ne sais plus son nom, une… l’harmonie du chemin de fer donc… musique. Qui existe toujours. Il y avait tout un…
Jessica : Ah qui existe toujours ?
Françoise : Oui, un… un mode de vie… un confort de vie qui était bon pour l’époque, effectivement.
Jessica : Des privilèges, des loisirs etc.
Françoise : Voilà, ouais, ouais. Et moi qui étais[17] à l’école dans ce… ce petit quartier d’ouvriers, là, sur la rive droite, nous avions… est-ce que c’était tous les 15 jours, est-ce que c’était une fois par mois… un monsieur qui venait nous faire du cinéma.
Jessica : Super, ça !
Françoise : Alors, c’est assez curieux parce que souvent il y avait quand même un documentaire où il y avait des locomotives. Je me souviens d’une locomotive qui s’appelait la BB 9004 qui a foncé sur nous dans la salle de classe ce jour-là. C’était très impressionnant. Et puis nous avions[18] aussi une dame qui venait nous faire faire du sport toutes les semaines. Et ces deux personnes… alors quels étaient les accords à l’époque… j’en ai pas trouvé trace dans les archives parce que les administrations étaient beaucoup moins tatillonnes… mais en tout cas, aussi bien le projectionniste que la monitrice de sport étaient des salariés du chemin de fer. Qui venaient dans l’école…
Jessica : Ouais. C’est le chemin de fer qui… ouais.
Françoise : Voilà, alors bon, sous quelle forme, je… je saurais pas vous dire. Mais qui venaient apporter ce plus aux… dans cette école où on était à 80 ou 90 % filles[19] de cheminot.
PART 4
Jessica : Alors si on fait la promenade avec vous… d’ailleurs, si les personnes veulent faire la visite avec vous, donc… découvrir Épernay sous l’angle « Souvenirs de cheminots », comment on fait pour vous trouver ?
Françoise : Alors, on part de la notion de greeter. Sur l’ordinateur, c’est facile à taper, on approche avec « Greeters en Champagne », on approche encore un peu plus en s’adressant à l’office du tourisme d’Épernay. Et là, nous avons notre interlocutrice Hélène qui va prendre en charge la demande et qui va, ensuite, me contacter ou contacter mes collègues… il y a d’autres greeters aussi pour d’autres choses sur Épernay. En nous demandant, bon tel jour, j’ai… deux Australiens qui sont intéressés, qui veulent venir, tel jour, telle heure, est-ce que vous êtes disponible ?
Jessica : Ça, c’était nous !
Françoise : Voilà, voilà, voilà ! Et donc ça tombe bien, puisque oui bah je suis disponible, bah écoutez, on se donne rendez-vous à l’heure qui vous convient, ou qui me convient… enfin on s’arrange… à la gare d’Épernay. Et puis voilà. On fera la visite ensemble.
Jessica : Voilà. Donc c’est… c’est simple comme un coup de téléphone, vraiment. Vous contactez donc le site « Greeters en Champagne »[20] ou l’office de tourisme et vous êtes mis en relation avec Françoise. Et vous organisez une visite… en plus tout à fait flexible… si vous avez une heure, une heure et demie ou deux heures et demie ou… le temps que vous voulez. Si vous en avez marre[21], vous pouvez arrêter. Mais vous en aurez pas marre parce qu’il y a vraiment beaucoup de… beaucoup d’histoires, de petites anecdotes. Et la promenade de Françoise vous emmènera aussi… on a vu votre… votre maison d’enfance, la maison dans laquelle vous avez grandi, on est passés devant. Il y a des choses qui sont plus de l’ordre du visuel donc qu’on peut pas décrire, là. Mais… mais ça permet de partager une petite tranche de vie avec vous. En plus de se plonger dans l’Histoire, donc je le recommande. Surtout que Épernay, la région du champagne, allez… allez faire un tour vraiment. D’autres suggestions que vous auriez pour donc des… des visiteurs qui viendraient visiter Épernay ? Qu’est-ce que vous leur conseilleriez ? Donc à part… à part faire un petit tour avec vous ?
Françoise : Ah bah il y a mon… mon collège Pascal qui fait la visite de l’avenue de Champagne, la fameuse avenue de Champagne qui a, depuis plus d’un an maintenant, une reconnaissance Unesco.
Jessica : Ah oui, mondiale j’allais dire.
Françoise : Mais là, on arrive un peu dans le… le domaine, j’allais presque dire officiel d’Épernay. Mais qui est le champagne, donc ça se trouve assez facilement. Et puis dans les environs, il y a des… des greeters aussi qui sont eux-mêmes propriétaires de… de vignes dans les environs. Et qui peuvent vous emmener visiter leur… leur domaine… en vous expliquant le travail de… le travail de la vigne. La vigne de… d’un vigneron aujourd’hui. Il y a aussi Robert qui fait une petite visite… qui fait une visite, pourquoi une petite visite… qui fait une visite de son village de Mareuil-sur-Aÿ[22]. Le long du… du canal qui va de… eh ben je sais plus donc je vous dirais pas de où vient le canal. Donc il y a plusieurs greeters…
Jessica : Donc regardez les… voilà. Faites un tour des greeters du… du coin. C’est vraiment que… oui, la vigne ça peut être un aspect intéressant. Moi, j’ai… j’ai fait l’interview donc d’un vigneron et donc producteur de champagne, c’est… je vous réfère à l’épisode 52 de French Voices. Mais voilà, Épernay à… vraiment à un jet de pierres de Paris. L’accès est très aisé en train. Françoise peut venir vous rencontrer à la gare. Donc voilà, avis aux… aux amateurs. Françoise, je vous laisse pour… pour aujourd’hui. Je vous remercie d’avoir partagé ces souvenirs historiques et personnels autour de…
Françoise : Bah ça a été avec plaisir, avec un grand plaisir.
Jessica : Oui. Et nos chemins se recroiseront puisque vous avez peut-être évoqué la possibilité de venir en Australie. J’attends, hein ! J’attends des nouvelles !
Françoise : Voilà, voilà. Voilà. C’est pas… c’est pas demain, peut-être même pas après-demain mais l’idée est lancée ! (rires). L’idée en est lancée !
Jessica : Ça marche. Bah on reste en contact et puis bonne continuation, j’espère que vous aurez plein de visiteurs. Si jamais vous venez à Épernay après avoir écouté mon épisode de French Voices, mentionnez-le à… à Françoise.
Françoise : Ah oui ! Ah oui, oui.
Jessica : Voilà. « Je viens de la part de Jessica ».
Françoise : Très bien (rires).
Jessica : Au revoir Françoise, à bientôt, à la prochaine !
Françoise : Au revoir, au plaisir, à bientôt !