Champagne Producing with Tristan Hyest
PART 1
Jessica : Tristan Hyest, bonjour et un grand grand merci de me recevoir. Alors, on n’est pas chez vous, on est où en fait exactement ?
Tristan : On est sur le lieu de production où je… j’élabore du champagne.
Jessica : Oui, alors vous êtes viticulteur et producteur de champagne. On peut dire que vous le faites de A à Z, c’est vrai ?
Tristan : Tout à fait. On dit exactement vigneron, c’est celui qui cultive sa vigne et élève son vin.
Jessica : Alors, c’est quoi la différence entre viticulteur et vigneron ?
Tristan : Alors, un viticulteur, il cultive exclusivement la vigne.
Jessica : Ouais.
Tristan : Voilà, il vend sa récolte en général à une coopérative ou à celui qui veut l’acheter.
Jessica : D’accord.
Tristan : Et un vigneron cultive sa vigne, transforme son raisin et vend ses bouteilles.
Jessica : Ah ! Donc la totale[1] en fait.
Tristan : Voilà, tout à fait.
Jessica : D’accord. Alors est-ce que vous pouvez donc présenter un petit peu donc qui vous êtes et votre champagne… et puis on va partir de… de là un petit peu ?
Tristan : Alors, Tristan, voilà j’ai 38 ans. Je suis revenu sur l’exploitation familiale que mes parents avaient créée[2] en 1980. Moi je suis revenu en 99[3]. Voilà, c’est ma seizième vendange.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Aujourd’hui, l’exploitation a une dizaine d’hectares avec principalement le cépage Meunier, le cépage Chardonnay pour 25 % et les 25 % restants sont du Pinot Noir.
Jessica : Alors, donc quand vous dites cépages, c’est-à-dire que c’est des… des types de champagnes ?
Tristan : Non, ce sont les plans de vignes.
Jessica : D’accord.
Tristan : C’est la variété du raisin produit.
Jessica : C’est le type de raisin.
Tristan : Voilà, tout à fait.
Jessica : D’accord. Alors, c’est du raisin… comment dire… il y a le raisin noir et le raisin blanc ?
Tristan : Oui, alors, le Chardonnay est le raisin blanc à jus blanc.
Jessica : D’accord.
Tristan : Et le Meunier et le Pinot Noir sont des raisins noirs à jus blanc.
Jessica : D’accord. Donc, ça va donner des… des différents types de champagne avec des goûts différents.
Tristan : Tout à fait, voilà. Donc le Chardonnay, c’est toujours la finesse, l’élégance, et la droiture.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Le Meunier, il va apporter du fruité et du vineux. Et le Pinot Noir, c’est souvent le corps, le corps du vin. Voilà, la structure du vin.
Jessica : D’accord. Alors, je vais rebondir dessus. Vous avez déjà commencé par dire, c’est votre seizième vendange.
Tristan : Oui.
Jessica : Donc les vendanges, pour expliquer notamment au public peut-être étranger, donc c’est le moment où on récolte, on coupe le… le raisin.
Tristan : Tout à fait, la vendange, c’est le moment où on récolte le raisin. En Champagne[4] et la… sur la dernière décennie, la ré/la date de récolte moyenne est le 15 septembre.
Jessica : Hm.
Tristan : Voilà, donc on récolte tous nos raisins en… sur une dizaine de jours.
Jessica : C’est très physique. J’ai déjà fait quand j’étais ado, là, les vendanges, un petit travail saisonnier par excellence en fait. Bon, ça… on a bien mal aux mains bon avec le… le ciseau qui sert à couper les grappes[5] qui s’appelle le… le sécateur…
Tristan : Tout à fait.
Jessica : Ça colle et tout… mais c’est un bon moment, bien convivial et tout…
Tristan : Tout à fait, c’est souvent un… le résultat aussi d’une année de… de production.
Jessica : Ouais.
Tristan : C’est… c’est inspiré d’un millésime qui va nous amener à une qualité tous les ans… différente. C’est… c’est du travail. Parce que on dort… pas beaucoup.
Jessica : Pour vous, c’est votre période de pointe en fait, non ?
Tristan : C’est… c’est toute l’année une période de pointe puisque ce sont… la… le champagne est une succession de détails importants. Voilà. Et la vendange et la cueillette du raisin à maturité optimum va donner directement la qualité du champagne derrière.
PART 2
Jessica : Alors, si on commence par l’étape de la récolte du raisin. Donc déjà vous avez dit, quand on[6] est arrivés, que cette année, donc par rapport au climat, la période déjà de la vendange va se faire à… à un moment différent, le travail dans la vigne n’a pas été la même. Est-ce que vous pouvez expliquer ?
Tristan : Tout à fait. Alors, cette année, 2016, printemps très pluvieux.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Une sortie d’hiver où on… on n’a quasiment pas eu de gelée. Donc pour la troisième année consécutive, pas de gelée d’hiver ou très très peu.
Jessica : Alors, c’est un problème ou c’est bien parce que… ?
Tristan : Alors… c’est… c’est bien parce qu’on chauffe moins les maisons mais…
Jessica : Ouais.
Tristan : C’est un problème parce que les ravageurs de la vigne se propagent à bonne température…
Jessica : Aah !
Tristan : Les températures négatives permettent de… non seulement ralentir la plante…
Jessica : Ouais.
Tristan : Donc ou la faire hiverner. Réellement.
Jessica : Ouais.
Tristan : Et elle a… elle met un temps un petit peu plus long au printemps à redémarrer.
Jessica : D’accord.
Tristan : Et toutes les… tous les insectes et tous les ravageurs, eux[7], par contre, s’il y a pas de gelée…
Jessica : Ils gèlent… Aah !
Tristan : Voilà. Et au pr… la Champagne est très sensible aussi au démarrage de la vigne ou aux gelées printanières. Donc quand on n’a pas d’hiver, la vigne démarre plus tôt. Elle… elle a plus de risques de subir les gelées…
Jessica : D’accord.
Tristan : Que les années où elle démarre[8] un tout petit peu plus tard.
Jessica : D’accord.
Tristan : Donc ça se joue vraiment à deux semaines, quoi. C’est…
Jessica : La qualité du raisin sera la même ou c’était plus au niveau de l’entretien que c’était difficile ? L’entretien de la vigne ? Quels impacts le climat va avoir sur le champagne au final ?
Tristan : Alors, au départ, donc une gelée. Donc une gelée, qui impactait directement les nombres de grappes restantes dans la vigne.
Jessica : Ouais.
Tristan : Donc aujourd’hui, on est sur une… sur une demi-récolte à deux tiers de récolte, voire[9] 10 % pour certains.
Jessica : Ouah, donc vous voulez dire que…
Tristan : Pour certaines parcelles plus touchées que d’autres.
Jessica : Il y a 90 % de leur production qui est foutue ou… ?
Tristan : Aujourd’hui en Champagne, on estime que la récolte sera… la récolte moyenne sera deux tiers d’une année normale.
Jessica : Ouais, d’accord.
Tristan : Tous secteurs confondus.
Jessica : Ouais, donc c’est une mauvaise année même… pour les agriculteurs, j’ai entendu ça mais pour les… les vignerons aussi.
Tristan : Mauvaise année quantitative.
Jessica : Ouais.
Tristan : Mais ça veut pas dire pour le moment mauvaise année qualitative.
Jessica : Oui, d’accord.
Tristan : Même si le printemps pluvieux nous a amené des difficultés à travailler dans les vignes… aujourd’hui, on ne peut pas dire vu que c’est août et septembre qui font le vin…
Jessica : Hm hm.
Tristan : Et qui le terminent. Ça part mal, mais en 2012, ça finit très bien donc on peut toujours espérer, voilà.
Jessica : Bon bah alors on croise les doigts pour vous. Donc là, on a fini donc la vendange, les raisins sont coupés. Qu’est-ce qu’on fait avec ? Est-ce que vous pouvez aussi nous parler un peu des… des machines ou des appareils qu’on voit donc autour là ?
Tristan : Alors la… la vendange se déroule… on coupe la journée, on coupe toutes les parcelles successives, on fait des unités de 4000 kilos. Qu’on met à chaque fois dans un pressoir, et le pressurage dure quatre heures. Voilà, on commence sur une…
Jessica : Oui, c’est assez rapide.
Tristan : Oui, on commence sur une faible pression des raisins, à 0,2 bars et on finit à 1,2 bars. On… pour 4.000 kilos, on obtient 2.550 litres de jus.
Jessica : Ah d’accord. Donc à peu près moitié, enfin un peu plus de la moitié.
Tristan : Oui.
Jessica : Le reste, c’est les pépins, la chair tout ça.
Tristan : Tout à fait, tout à fait. C’est.. ce sont les… ce qu’on appelle les produits résiduels donc les… les baies écrasées, les pépins…
Jessica : D’accord.
Tristan : Voilà, qui sont évacués, retraités, voilà, plus tard.
Jessica : D’accord. Alors là, juste pour information, on est à côté, juste à côté du pressoir qui est… en fait, j’imaginais encore le pressoir, bois, manuel comme une grosse vis. Là, c’est tout à fait…
Tristan : Donc là, c’est de… de l’inox[10] avec… à l’intérieur un… il faut imaginer un ballon qui se gonfle.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Voilà, par un compresseur. Et c’est lui qui va écraser au fur et à mesure les raisins.
Jessica : D’accord.
Tristan : Donc première presse, on a beaucoup plus de jus que la deuxième presse évidemment puisque plus… plus on va aller dans le temps, plus les presses successives mettent de la pression pour écraser les dernières baies.
Jessica : Hm hm. Il y a… il y a… il en reste moins quoi en fait.
Tristan : Oui… oui, à chaque fois, le pressoir se gonfle, se dégonfle. Et… et on a une quantité de jus moindre à chaque gonflage.
Jessica : Et on peut le voir le ballon d’ici ou pas ? Non ?
Tristan : Oui, on peut le voir. Il faut monter sur le pressoir et regarder à l’intérieur.
Jessica : Ah, il faudrait faire de l’escalade, OK.
Tristan : Mais il est en… en côté dégonflé. Évidemment, voilà.
Jessica : Ouais, ouais. D’accord.
Tristan : En côté dégonflé.
Jessica : D’accord. Alors qu’est-ce qu’on fait après ?
Tristan : Après, donc on obtient notre jus. Le jus… tous les jus sont séparés par cépages et par parcelles.
Jessica : D’accord.
Tristan : Et on les met directement en cuve. Voilà. Pour 24 heures. Après 24 heures, on fait une pre/un premier soutirage.
Jessica : Un soutirage.
Tristan : Alors, le soutirage, c’est une première clarification. On laisse déposer entre 12 et 24 heures le jus, une fois qu’il est dans la cuve. Et toutes les grosses particules entraînent les petites vers le bas.
Jessica : D’accord.
Tristan : Donc on fait un soutirage à un point haut du vin. Et tout ce qui reste dans le fond de la cuve est… est clarifié en fait.
Jessica : D’accord. Donc on enlève tous les résidus…
Tristan : Tout à fait.
Jessica : On peut appeler ça la lie aussi déjà à ce stade ou… ?
Tristan : Alors, on appelle… ça… ça ressemble à la lie. Donc on appelle ça bourbe, ici.
Jessica : D’accord.
Tristan : Parce qu’on est encore en jus de raisin.
Jessica : D’accord. Donc la lie ça va être réservé à l’alcool ?
Tristan : Tout à fait, voilà. Une fois qu’on est en cuve, qu’on a fait ce soutirage, on… attaque les fermentations alcooliques. Donc la… le jus va se transformer en vin.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Et à ce moment-là, une fois que la fermentation alcoolique est terminée, on obtient les lies de vin. Voilà, ce sont principalement des résidus de levure.
Jessica : Donc, la levure on l’introduit. C’est pas… ou c’est naturel ? Ça se fait naturellement ?
Tristan : Alors, ici, on a choisi d’introduire une levure sélectionnée champenoise.
Jessica : D’accord. Hm hm.
Tristan : Voilà, cultivée en Champagne. Et sélectionnée. Cette levure est spéciale puisqu’elle prend la place des autres.
Jessica : D’accord.
Tristan : Et elle évite des dévia/déviations de goût.
Jessica : Donc pour avoir un champagne qui a le même goût d’année sur année en fait ?
Tristan : Alors, pas le même goût. Mais… la fermentation sur si… la fermentation sur des moults ( ??) à… levure indigène. Donc les levures indigènes, ce sont celles que l’on trouve directement sur la parcelle suite à la culture de la vigne…
Jessica : D’accord.
Tristan : Peuvent être des mauvaises levures qui font dévier le goût.
Jessica : Ah !
Tristan : Ça ne joue pas forcément sur la qualité du vin mais on peut avoir des déviations de goût.
Jessica : D’accord, d’accord.
Tristan : Ce n’est pas directement la levure qui fait la qualité du vin. Mais… on met une chance de plus de notre côté pour que le vin n’ait[11] pas un goût particulier.
Jessica : D’accord. Alors, pour bien aussi être clairs au niveau du vocabulaire, donc vous avez parlé des différents types de champ/de… en fait de raisins, ce sont les cépages.
Tristan : Tout à fait.
Jessica : Vous avez aussi mentionné avoir plusieurs types de cuvées. Alors, ça qu’est-ce que c’est les cuvées ?
Tristan : Alors, quand on… à chaque… à chaque pressoir, on a… il faut imaginer qu’à chaque pressoir, on a pratiquement une parcelle différente…
Jessica : Ouais.
Tristan : Ou deux pressoirs font une parcelle. Ou trois pressoirs font une parcelle. Mais la plupart du temps, ici, on a des petites parcelles. À chaque pressoir, une parcelle.
Jessica : Ouais.
Tristan : Donc chaque parcelle a un goût différent. Parce que…on a soit un cépage différent sur cette parcelle, soit un sol différent.
Jessica : Oui. La terre…
Tristan : Voilà, le sol qui peut être plus sableux-calcaire, argileux-calcaire, calcaire tout court.
Jessica : D’accord.
Tristan : Voilà, donc les expositions, les années de plantation, les variétés…
Jessica : Ah oui !
Tristan : Amènent à chaque cuve une spécificité.
Jessica : Ouais, d’accord.
Tristan : Donc c’est pour ça qu’on entre dans le détail… dans le détail de la… du champagne. Et à ce moment-là, on peut créer une… une nouvelle cuvée en choisissant une proportion différente de chaque cuve.
Jessica : Aaah !
Tristan : Voire parfois, n’avoir qu’une seule cuve qui donne un type de champagne.
Jessica : Ouais, donc c’est un peu un mélange d’alchimiste. Vous dosez du raisin qui vient de telle parcelle, qui a telle exposition. Ou comme faire un parfum, en fait, pour avoir le meilleur…
Tristan : C’est ce côté créatif du champagne, c’est exactement ça.
Jessica : Aah ! Donc ça donne des possibilités infinies de… combinaisons de champagne ?
Tristan : Tout à fait, oui. Alors, bien évidemment la limite, ce sont le nombre de parcelles, voilà.
Jessica : Oui.
Tristan : Et… et la volonté de créer. Et alors en champagne, on ne mélange rien, on assemble les choses entre elles pour donner le meilleur.
Jessica : C’est juste une question de vocabulaire ou… ? Quand vous dites…
Tristan : Oui, oui, oui.
Jessica : Ouais, d’accord. Alors, vous… pardon, vous avez combien de parcelles ?
Tristan : On a 45 parcelles.
Jessica : Ça donne des combinaisons ça, avec beaucoup de pourcentages et tout…
Tristan : Énormément de combinaisons…
Jessica : Ouais.
Tristan : Et on peut s’amuser vraiment. Les… les dix premières années de mon travail, quand je suis revenu travailler avec mes parents, ça a été de caractériser le goût de chaque parcelle puisqu’avant mon père travaillait par cépages et pas par parcelles. Et ça a été mon premier travail.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Et c’est beaucoup plus simple après, une fois qu’on a décrit le goût de chaque parcelle…
Jessica : Ouais.
Tristan : De… de composer en fait.
PART 3
Jessica : Ouais. Et puis donc de faire la description de ce qu’il va y avoir… alors, c’est vous qui faites les assemblages ? Qui jouez avec ou comment vous faites ?
Tristan : Alors, jamais seul.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Puisque les perceptions d’un humain à l’autre sont différentes.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Donc tout est… tout est bien sûr avant analysé… par des… des outils, des laborantins pour savoir si le produit est comestible. Dans un premier temps. Et ensuite, on passe à ce qu’on appelle les… aux assemblages. Donc là, on est souvent un petit comité, on a un professionnel œnologue[12].
Jessica : Hm hm.
Tristan : Qui est là pour nous assister, ou pour nous diriger. Enfin, pour… pour nous dire que… si on se trompe ou si on se trompe pas, des fois. Parce que le professionnel fait parfois ce qu’il aime mais pas…
Jessica : Oui.
Tristan : Pas forcément ce que les clients aiment des fois.
Jessica : Ouais, exactement, ouais, hm hm.
Tristan : Donc on est souvent, moi, mon frère, mon père et un œnologue pour avoir au moins des… des humains différents, des avis différents.
Jessica : Ouais. Alors, tout à l’heure, hors enregistrement, je vous ai dit : « Ah bah on dit aussi œnologue, il y a pas un… ». Parce que œnologue, donc c’est le connaisseur de… du vin. Et j’ai dit c’est la même chose…
Tristan : C’est un peu le docteur du vin.
Jessica : Le docteur… le docteur du vin. « Et il y a pas un terme spécifique pour le champagne ? ». Et vous m’avez répondu très justement, comme je suis bête, que le champagne, en fait, c’était du vin mais dans lequel on rajoute du pétillant. Alors comment on fait pour les… les ajouter ces bulles ?
Tristan : Alors, il est pas pétillant[13]. Il fait partie du monde des effervescents.
Jessica : Ah bon ! D’accord.
Tristan : L’effervescence est créée, elle n’est pas ajoutée.
Jessica : OK.
Tristan : Alors, quand on fait la mise en bouteille, au moment de la mise[14] en bouteille, les levures vont retravailler dans la bouteille, vont recréer de l’alcool…
Jessica : D’accord.
Tristan : Vont recréer de la pression, et évidemment le gaz carbonique emprisonné dans la bouteille nous donne l’effervescence.
Jessica : Fait les bulles, d’accord.
Tristan : C’est ce qu’on appelle la prise de mousse.
Jessica : La prise de mousse, d’accord. C’est ce qui va donner la mousse à l’ouverture de la bouteille ? OK.
Tristan : Tout à fait. Les bulles, la mousse. Et ce sont les Champenois[15] qui l’ont implanté donc c’est pour ça que…
Jessica : Hm hm. Et champagne, c’est une Appellation d’Origine Contrôlée[16] ? Personne en dehors de la Champagne ne peut utiliser le… le terme, c’est ça ?
Tristan : Tout à fait. Non, non, oui.
Jessica : Alors, tout à l’heure, il y a une machine qui s’est mise[17] en marche là… vous voulez dire quelque chose ?
Tristan : Oui, c’est pour ça qu’on fait une différence entre pétillant et effervescent.
Jessica : Ah oui.
Tristan : L’effervescent est créé dans la bouteille, le pétillant est ajouté.
Jessica : Est ajouté, donc c’est pas du vrai champagne.
Tristan : Euh bah le champagne n’est qu’en Champagne mais… un effervescent, c’est une méthode traditionnelle, c’est la… la bouteille refermée qui emprisonne le gaz carbonique.
Jessica : D’accord, ouais.
Tristan : Ce n’est pas du gaz carbonique ajouté.
Jessica : Ajouté.
Tristan : Il est créé dans la bouteille.
Jessica : Ouais. D’accord. C’est intéressant comme… les subtilités de vocabulaire, là.
Tristan : Les notions d’élaboration sont différentes.
Jessica : Ouais, ouais. Alors bah moi j’ai pas le vocabulaire technique pour parler du champagne. Et donc alors, ouais, il y a une machine qui tourne[18] alors qui doit avoir un nom aussi…
Tristan : Oui.
Jessica : Qui s’est mise en marche tout à l’heure. Vous pouvez la décrire ?
Tristan : Alors, c’est une machine moderne. On a aussi la version à côté de nous, la version classique.
Jessica : Ah oui, hm hm. OK. Je mettrai des photos peut-être tout à… ouais. Ouais.
Tristan : Et donc cette machine moderne contient deux caisses de 500 bouteilles chacune.
Jessica : Ah oui !
Tristan : Donc ce qui nous fait 1.000 bouteilles.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Et elle nous sert à remuer les bouteilles. Donc remuer les bouteilles, qu’est-ce que c’est ? C’est, une fois que nous avons fait la prise de mousse, la bouteille doit reposer au minimum 15 mois dans la cave. Sur ses lies. Donc sur ses lies de levure.
Jessica : Sur ses lies de levure. Donc là, elles sont horizontales ?
Tristan : Tout à fait.
Jessica : Ouais d’accord.
Tristan : Elles sont à plat. On dit… on dit les bouteilles sont sur lattes.
Jessica : D’accord.
Tristan : Puisqu’avant elles étaient stockées sur des petites lattes en bois les unes sur les autres en tas.
Jessica : D’accord, hm hm.
Tristan : Ce qu’on peut voir dans la cave un peu plus bas.
Jessica : D’accord. On ira tout à l’heure ?
Tristan : Oui, tout à fait.
Jessica : OK. Bon j’essaierai de mettre des photos alors.
Tristan : Et donc on prend ces bouteilles, on les met dans les cages, on les met dans la machine. La machine a un double sens de rotation, elle tourne sur elle-même et puis elle pivote de horizontal à vertical. Ce qui nous fait que la bouteille, en tournant toutes les quatre heures d’un quart de tour, arrive la tête en bas. Et c’est à ce moment-là qu’on va clarifier la bouteille en l’ouvrant.
Jessica : Voilà, donc on…
Tristan : Grâce à la pression.
Jessica : Voilà. On ouvre, il y a toutes les levures qui s’échappent, on referme.
Tristan : Tout à fait, oui.
Jessica : Et c’est reparti pour un tour.
Tristan : On met le bouchon…
Jessica : Ouais.
Tristan : Et elle est commercialisable. À ce moment-là.
Jessica : Ah d’accord. Alors, ça c’est la… c’est la machine. On n’a pas besoin de tourner les bouteilles à la main.
Tristan : Non, tout à fait. Ou à côté de nous, on a ce qu’on appelle les pupitres[19] où les bouteilles sont installées dessus. Et tous les matins et tous les soirs, une personne vient les tourner d’un huitième à… jusqu’à un demi-tour, en passant par un quart de tour, pendant trois semaines, pour les amener têtes en bas de la même manière que la machine.
Jessica : Ah bah, c’est fastidieux là de faire tout à la main quand il y en a des milliers.
Tristan : Tout à fait oui. C’est un vrai travail. En général, on fait plutôt ça l’hiver. Quand on est un peu en retard, on en fait aussi un peu l’été. L’hiver, avant d’aller aux vignes, le matin il fait nuit. Donc, ça nous permet, t’as un petit quart d’heure, de travailler avant de partir à la vigne. Voilà.
PART 4
Jessica : Ouais, d’accord. Cela dit, alors c’est très fastidieux, c’est un… mais c’est joli, c’est un petit peu poussiéreux, ça fait… ouais, c’est très chouette. Alors… tout à l’heure, oui, vous parliez d’œnologie, et puis vous venez de me refaire penser, là, avec… en parlant de l’été et de l’hiver, vous disiez que… donc, le champagne, bah c’est comme le vin, on peut le consommer avec des… des mets différents, à des saisons différentes, on a des… des envies et des humeurs différentes. Alors, est-ce que vous pouvez peut-être parler un petit peu de ça, les personnes qui consomment le champagne, est-ce qu’il y a des profils… ou des variétés ? Vous pouvez expliquer un peu ?
Tristan : Tout à fait. Alors, on a ce qu’on appelle… on va commencer par le champagne souvent le plus connu qui est le blanc de blanc, donc c’est uniquement composé de Chardonnay. Donc je répète la même chose que tout à l’heure, c’est finesse et élégance. Donc la plupart des Chardonnay sont… font penser à… dans leurs arômes, au côté agrumes.
Jessica : D’accord.
Tristan : Donc, au nez. Et puis des bouches très délicates. On… on pourrait dire que c’est plutôt le vin de femme au printemps. Voilà, au printemps.
Jessica : D’accord. Hm hm.
Tristan : Quand on a toutes les fleurs du printemps en France, on est joyeux, beau temps, voilà. Un peu le… le vin très fin à l’image des[20]… des odeurs des fleurs de printemps.
Jessica : Et alors justement, c’est un vin qui est plus vendu au printemps ou… ? Vous observez ces tendances-là ?
Tristan : Alors, j’ai pas de statistiques précises parce que le marché est un peu… il est pas… est un peu bizarre donc c’est… là, j’ai pas vraiment de statistiques là-dessus. Mais c’est ce que je conseillerais, voilà.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Ensuite, on pourrait… l’été, passer sur un rosé. Voilà, un petit peu plus frais, les… les fruits… ça va nous rappeler tous les fruits rouges, la framboise, le cassis… les mûres…
Jessica : Hm hm. Donc ça c’est le type de raisin qui donne… qui fait penser à ce goût en fait ?
Tristan : Tout à fait. L’assemblage… de raisins qui…, il faut s’imaginer, 15 à 30 mois plus tard, va apporter un goût particulier. Voilà. Pour le consommateur.
Jessica : Hm hm. D’accord.
Tristan : Bien évidemment, chacun consomme comme il a envie mais c’est ce qu’on pourrait conseiller l’été, avec une coupe de fruits, champagne rosé avec une coupe de fruits, l’été. Voilà.
Jessica : Hm hm. Alors, après on arrive en automne, les gens sont peut-être un peu déprimés avec la pluie etc. Qu’est-ce que vous conseilleriez ?
Tristan : Alors, là, on conseillerait plutôt un champagne un peu plus vieux. Mais encore dans… dans l’acidité. On appellera ça plutôt un extra brut. Avec une… l’extra brut, c’est moitié de sucre par rapport à un brut, voilà. Donc un brut classique.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Et… qui nous garde un peu plus d’acidité. Donc cette acidité, elle va nous… chatouiller un peu les papilles mais cet extra brut, on va le prendre un peu plus vieux.
Jessica : D’accord.
Tristan : Donc, on va avoir un équilibre entre la vieillesse du vin. On prendrait plutôt quelque chose qui est à base de 50 % de Chardonnay, 50 % de Pinot Noir. Et avec peu de sucre. Et sur cinq à sept ans, voilà, pour apprécier, avec les premiers fruits d’hiver type les marrons, ou alors une volaille, un gibier.
Jessica : D’accord. Oui, vous m’avez dit que vous aimiez bien associer les… les champagnes avec les plats etc.
Tristan : Tout à fait.
Jessica : On imagine la table là, ça fait presque rêver. Ouais…
Tristan : Oui. Donc c’est un peu la saison de chasse, le départ de la saison de chasse. Voilà, c’est le vin qu’on va boire à température de… c’est le vin… c’est le champagne qu’on va boire à température de… de 12°C, on va pas le sortir du frigo, on va le sortir de la cave.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Voilà.
Jessica : Et pour l’hiver. Donc pour Noël par exemple ?
Tristan : À Noël, c’est toujours festif donc on choisit toujours un brut assez classique d’entrée de gamme.
Jessica : Donc, il y a plus de sucre c’est ça ?
Tristan : Tout à fait. Voilà, celui-ci, il a 12 grammes par litre de sucre.
Jessica : Ah oui !
Tristan : Entre 10 et 12, généralement. Plutôt jeune. Souvent il est plutôt jeune. Bien qu’on devrait conseiller, pour les belles tables de Noël, de boire du champagne moins sucré, pour faciliter la digestion. Voilà.
Jessica : D’accord, hm hm. Hm hm.
Tristan : Parce que le sucre rend plus lourd le repas.
Jessica : Oui, bah les gens sont plus à ça près, hein, quand ils ont fait le réveillon de Noël et le réveillon du Nouvel An, ouais.
Tristan : Mais a contrario, c’est aussi le moment de… de manger parfois des… des beaux mets. Donc on pourrait partir sur un vieux champagne qui a une dizaine d’années. Un vieux Chardonnay ou un vieux Pinot Noir. Voilà, pour l’apprécier au coin du feu, entre Noël et le Jour de l’An. Voilà. Non festif, mais… mais plus plaisir à deux, ou à quatre. Voilà.
Jessica : Hm hm. Super. Bon alors… ah vous aviez une idée, est-ce que vous… vous souhaitez l’évoquer ou pas ? Une idée dont vous m’avez parlée pour développer un petit peu votre… votre entreprise de champagne ?
Tristan : Aujourd’hui, donc on a… on a plusieurs objectifs de développement. C’est principalement un… une salle d’accueil, qui va être… voilà, le carré H. Voilà. D’où le compte Twitter tristanH2.
Jessica : Voilà TristanH2, parce que TristanH existait déjà.
Tristan : Voilà. Donc on… on est parti d’un handicap pour en faire un avantage.
Jessica : Ouais, ouais.
Tristan : Et puis, en production, on va sans doute doubler la surface des bâtiments.
Jessica : Hm hm.
Tristan : Pour refaire un chais entre moderne et traditionnel. Voilà, adapter vraiment les choses. Et surtout… avoir un chais qui soit économique en énergie et beaucoup plus facile à travailler.
Jessica : Donc, le chais, j’imaginais un gros tonneau. Mais ça doit pas être ça alors.
Tristan : Le chais, c’est… c’est l’endroit où on élabore le vin.
Jessica : Donc ici. On est dans un chais ici ?
Tristan : Tout à fait.
Jessica : Oh ! OK. Hm hm.
Tristan : Donc c’est un terme qui nous vient plutôt de Bordeaux, voilà.
Jessica : Ouais, d’accord. Et vous avez… vous pensez ouvrir donc le chais à la visite un jour ou… ?
Tristan : Tout à fait, dans les projets… normalement, en 2018 ça devrait être…
Jessica : Ah oui, c’est pour bientôt en fait ?
Tristan : Oui, oui. Oui, oui.
Jessica : Bon, avis aux amateurs alors. Si vous passez dans la région Champagne dans… dans un ou deux ans, vous pouvez passer donc chez Tristan et puis…
Tristan : Tout à fait.
Jessica : Voilà, remporter des petites bouteilles aussi. Vous faites combien de… vous produisez combien de bouteilles de champagne par an ?
Tristan : Alors, aujourd’hui, on produit à peu près 40.000 bouteilles de champagne.
Jessica : Oui.
Tristan : Ce qui représente la moitié de la surface. Et l’autre moitié de la surface, pour l’instant vendue aux grandes maisons. Voilà.
Jessica : D’accord.
Tristan : Essentiellement, due à… due à une indépendance financière, donc tous les ans, on met un peu plus de bouteilles en cave…
Jessica : Hm hm.
Tristan : On en vend de moins en moins aux grandes maisons tous les ans. Mais comme il faut… chez nous, au minimum trois ans de cave pour une bouteille, avant de sortir vers le consommateur…
Jessica : Il faut de la place. Ouais.
Tristan : Il faut de la place, il faut… beaucoup de trésorerie pour pouvoir mettre une bouteille en cave. Parce que son élaboration… si on récolte les fruits que trois ans après l’avoir/avoir cueilli les raisins, c’est beaucoup plus compliqué que… que si on vend son raisin directement.
Jessica : Ouais, ouais. Il y a encore beaucoup de… d’organisation derrière, en fait, derrière la récolte… ouais.
Tristan : Exactement. Parce qu’il y a des prises de risque, des… mais aussi un intérêt au métier, voilà.
Jessica : On sent bien la passion chez vous. En tout cas, bah là je suis consciente de l’heure, donc on a fait un… juste un petit tour d’horizon… je suis sûre qu’on pourrait discuter beaucoup plus longtemps encore…
Tristan : C’est certain.
Jessica : Ouais, ouais, ouais. Mais… je vous souhaite une très bonne vendange.
Tristan : Merci.
Jessica : Un très bon… comment on dit, cru ? Une très belle cuvée pour…
Tristan : Un très bon millésime.
Jessica : Un très bon millésime. Ouais, donc ouais… j’espère donc que… malgré l’année qui n’a pas commencé sous des… comment on dit… des vents opportuns[21], on peut dire ça ? Sous de bons auspices…
Tristan : Voilà, voilà.
Jessica : Sous de bons auspices
Tristan : N’a pas co/n’a pas commencé sous de bons auspices. Voilà.
Jessica : Se terminera bien et… mais alors justement, ça peut… alors voilà, je suis repartie, alors une dernière question… le fait que il y ait peut-être moins… si on dit en quantité, il y a moins de vin ou de champagne qui sera produit cette année, peut peut-être augmenter leur valeur parce que du coup, elles seront plus rares ces bouteilles, non ?
Tristan : Elles sont plus rares à condition de bien les travailler, voilà, toujours. Bien faire…
Jessica : Il faut qu’il y ait la qualité.
Tristan : Alors toutes les grandes années de champagne, enfin pas toutes les grandes années de champagne, mais une grande partie des grandes années de champagne sont des petites récoltes.
Jessica : Voilà, ouais.
Tristan : Donc c’est… c’est… c’est ce qui console quelque part.
Jessica : Ouais, si vous associez la qualité à la rareté, vous avez la combinaison gagnante, ouais, ouais.
Tristan : Tout à fait. On peut citer 1985, 92.
Jessica : Dis donc, c’est assez souvent finalement que ça arrive.
Tristan : Tout à fait, oui, oui, oui. Bah on… on est souvent, on est à la limite de la culture de la vigne en France, au niveau… au niveau de l’orientation par rapport à l’Équateur.
Jessica : Ah d’accord !
Tristan : Voilà donc on est… on est la plus… la région la plus septentrionale d’Europe.
Jessica : Hm hm. Hm hm.
Tristan : Voilà, donc on est à la limite de la maturité des raisins.
Jessica : D’accord. Donc plus au nord, ça va pas pousser en fait ?
Tristan : Bah ça va être encore plus compliqué. Oui.
Jessica : Hm hm hm. Très bien. On a tout évoqué, position géographique… que… quand et quoi consommer avec son champagne, un peu les procédés de fabrication. Et encore je vous remercie de vous être prêté au jeu de… notre conversation pour French Voices et je vous souhaite une magnifique cuvée… un magnifique millésime 2016. Et très bon développement.
Tristan : Merci.
Jessica : Merci Tristan. Au revoir.
Tristan : Au revoir.